Tapuscrit (15 ff. ; dim : 27 x 21), signé et daté (Hasparren, 1921). Encres noire et rouge. Complet. Titre, corrections et indications typographiques diverses de la main de Francis Jammes. Deux variantes : p. 6 (suppression de « ou de porter avec ostentation, tel Victor Hugo, un képi de garde national » derrière « comme d’immoler un bouc sous des roses ») et p. 14 (« fine » deviendra « forte »). Acquis chez Drouot par l’Association Francis Jammes, le 28 avril 1997. Ce texte a d’abord été publié à Nîmes, chez Gomès, en 1922. Puis repris dans Champêtreries et méditations, en 1930, pp. 135-160. À ce tapuscrit sont joints – non  numérisés – une transcription par Madame Francis Jammes (12 p.) et un tapuscrit avec corrections d’éditeur (14 p.).

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Qu’est-ce qu’un poète ? La réponse de Francis Jammes se présente sous une forme anaphorique qu’il a souvent utilisée. La première définition est à tous égards capitale, une fois de plus inspirée par le souvenir émerveillé de la cabane découverte à Tournay par l’enfant de cinq ans. Le poète est un malheureux que méprisent les hommes et qui, seulement compris de son chien, mendie la beauté : c’est un pèlerin missionné par Dieu et l’explorateur d’un monde vestigial à retrouver dans le Ciel :

Le poète est ce pèlerin que Dieu
envoie sur la terre pour qu’il y découvre
des vestiges du paradis perdu et du Ciel retrouvé.

Précédant la conclusion (« Le poète c’est l’homme à qui Dieu restitue la splendeur »), dix images viennent compléter cette définition, sans doute la plus importante qu’ait donnée Jammes. L’idée principale ajoutée dans cette partie anaphorique du texte, c’est que le poète est un thaumaturge, un guérisseur des corps et surtout des âmes :

« Le poète est celui qui observe, à travers la haute grille du parc », exclu mais seul à voir et à entendre l’essentiel.

« Le poète est celui qui n’ayant rien reçoit tout », pareil à l’étudiant qu’immortalisa Tchu-Kouang-hi dans un poème que Jammes aima et cita maintes fois.

« Le poète est celui qui, dans la besogne fastidieuse et terre à terre », sait secourir une enfant de cinq ans.

« Le poète est celui qui, seul à rester seul et pauvre, fait jaillir l’eau nourricière, tel un sourcier.

« Le poète est celui qui », laissé à l’écart ou insulté par les hommes, entend « le chant des séraphins et la voix de la Sagesse ».

« Le poète est celui qui » pétrit les formes et sculpte la beauté.

« Le poète est celui qui » guérit l’enfant malade.

« Le poète est celui qui va sur la mer » et pêche au péril de sa vie.

« Le poète est celui qui va dans la forêt » et y rencontre l’exubérante vie des bois mais aussi le bois nu de la croix.

« Le poète est celui qui, dans sa main, prend un grain de blé » et y voit la moisson, le pain des hommes et l’hostie.

Qui fut poète ? Fra Angelico et François d’Assise, Tchu Kouang-hi et ce jeune homme rencontré à Anvers en mars 1900, Jean de la Croix et Thérèse d’Avila, saint Bernard et Catherine Emmerich, Abraham et Noé, Booz et Ruth, Théocrite et Virgile, Dante et Cervantès, Lamartine et Baudelaire, le Verlaine de Sagesse et Rimbaud.

Si tout mystique n’est pas nécessairement un poète, tout vrai poète (tel Claudel) est un mystique, parce que l’inspiration conditionne l’état poétique comme l’état mystique. C’est parce qu’il est inspiré qu’un poète – et l’on ne peut pas ne pas songer à celui de Clara d’Ellébeuse (P : Ms 526) – peut découvrir le double mystère d’un lieu (une demeure dans un parc) et d’une âme (celle d’une jeune fille incomprise).

– Le poète occupe, dans la mystique,
selon le bien qu’il fait aux âmes, la place d’un
mortel quelconque – mais, en fait, il a ce privilège d’entendre,
mieux qu’un mortel ordinaire, les voix qui nous découvrent le Ciel.

Le texte publié sous le titre « Le Poète et l’inspiration » fut d’abord celui d’une conférence sobrement intitulée « Le Poète » que Francis Jammes prononça à Liège le 23 novembre 1921. Un compte-rendu de cette conférence parut dans La Gazette de Liège (82ème année, n° 266, vendredi 25 novembre 1921, p. 6). Ce compte-rendu est signé Sim, autrement dit… Simenon. Globalement critique, passablement inattendu (le « mysticisme poétique » de Jammes est expliqué par une forme de réclusion que connurent aussi Dostoïevski ou Mirabeau), il se conclut ainsi : « Veuille le poète pardonner à ma franchise : il conférencie mal, déclame fort bien, mais écrit à ravir. Ces défauts et ces qualités se rencontrent plus rarement assemblés que leurs contraires ». On peut lire l’intégralité de cette recension en note du livre que Victor Martin-Schmets a consacré à la correspondance qu’entretinrent Gabriel Frizeau et Francis Jammes entre 1897 et 1937 (Biarritz, Atlantica, 1997, p. 285).