Deux manuscrits doivent ici être rapprochés.

Ms270 / Consulter le document sur Pireneas
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Le Ms 270 est un manuscrit autographe, signé, de 14 pages in-folio, acheté par la Bibliothèque Patrimoniale de Pau. Il n’est pas daté mais a été très probablement écrit en 1915. L’écriture est fine et chargée de corrections.

Encore titré « Ambulances de Béarn et de Bigorre », il comporte deux chapitres

1/ « Ambulances de Béarn et de Bigorre »

2/ « La Population ».    

Le Ms 429 est également autographe et signé en page 38 (il comporte en fait 39 feuillets car il y a un feuillet 6bis) et provient du fonds Jean Labbé. L’écriture et l’absence de ratures semblent prouver qu’il s’agit d’une mise au propre du Ms 270. Divers noms féminins, suivis d’une indication concernant un nombre de lignes, ont été ajoutés au crayon dans la marge de gauche tandis qu’un numéro de page est inscrit en haut à droite. Une reliure verte, commandée par Jean Labbé, protège ce manuscrit.

Le titre est désormais : « Provinciale durant la guerre ». Les deux chapitres sont conservés. Le premier s’appelle simplement « Les ambulances » ; le second a gardé son titre initial. Quelques variantes par rapport au texte du Ms 270 : par exemple, le nom de la Sœur (« Marcelline ») a été ajouté et elle a été rajeunie de dix ans.

Publié dans la Revue hebdomadaire (t. IV, 1915, pp. 53-74), ce texte est celui d’une conférence donnée « Au profit des Formations sanitaires de la Ville d’Orthez ». Il évoque l’activité d’administrateur que Francis Jammes (non mobilisable) exerça (avec beaucoup de générosité) pendant la première guerre.

Première partie : « Les ambulances »

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L’écrivain l’a divisé en deux parties. Dans la première, (« Les ambulances »), il part d’une réflexion d’une sœur de Saint-Vincent de Paul dont il brosse un portrait plein de sympathie : sœur Marcelline n’attend rien de moins qu’un miracle pour que finisse l’hécatombe et que les incrédules cessent de douter. Jammes se penche ensuite sur les blessés : « presque tous du Nord », ils se moquent gauloisement de la « petitesse » des champs et des attelages qu’ils ont pu voir en Béarn ; parmi eux, il y a un Savoyard arraché à ses montagnes et un Breton venu d’un village en -ec où l’attend une femme malade.

« Singulier administrateur » que Jammes, assurément, obligé d’acheter « de l’anthracite, du pain, du lait », mais dont les mots pleins de verve durent réconforter bien des blessés, car « il ne faut pas que ces gens s’ennuient ». Une causerie sur la chasse au renard conduit l’administrateur-conteur d’Orthez à Pau où les Anglais la pratiquaient avec méthode et passion. La première partie s’achève ainsi sur une évocation des ambulances de la cité royale (s’en dégage une impression très britannique « de confortable ») et de Lourdes (c’est ici une impression sacrée qui domine et se répand à la ronde) :

Et de même que ma sœur Marcelline est le cœur de l’ambulance d’Orthez,
l’ambulance de Lourdes est le cœur des ambulances de France.

Deuxième partie : « La population »

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Dans la deuxième partie, intitulée « La population », Jammes s’emploie à rectifier quelques préjugés concernant les gens de son pays : réserve, « énergie sans jactance », maîtrise de soi, « voilà des traits nettement béarnais », corrige-t-il. Eloignée des champs de bataille (Jammes ne parle que de ceux et celles qui sont restés au pays), cette population (nous sommes en 1915) ne souffre pas trop de la guerre.

Dans l’ensemble, la vie continue, pour le bonheur et le malheur final du cochon, ce grand personnage des campagnes autour d’Orthez. On distribue le lait à toute une partie de la population, en particulier à des « petites filles en sarrau noir, au teint hâve, de la couleur un peu de ce lait vu au travers de la bouteille verte. » À l’administrateur, une voisine nommée Augustine a même l’immense bonheur de pouvoir annoncer que son fils (elle le croyait mort) est prisonnier du côté d’Erfurt. Dehors, il neige abondamment. « Les pauvres Clarisses prient dans la cendre de leur costume. » Elles annoncent le miracle attendu par sœur Marcelline.

Ambulance, Asile protestant, 1917 / Fonds Association F. Jammes, Orthez

Pendant la guerre, Jammes prononça plusieurs autres conférences, en particulier en faveur de l’Emprunt National et des Villages Libérés. Il multiplia aussi les articles pour rendre hommage aux nombreux écrivains et poètes (ses amis parfois) qui perdirent la vie lors du conflit. Mais, pris qu’il était par sa mission d’administrateur – même s’il s’agissait d’une gestion morale plutôt que financière – il ne publia que trois ouvrages durant cette période : Cinq Prières pour le temps de la guerre (1916), Le Rosaire au soleil (1916) et Monsieur le Curé d’Ozeron (1918). Les vingt-cinq Épitaphes (Pau, Ms 439 et Ms 440) ne parurent qu’en 1921.

 

Jacques Le Gall