Manuscrit de douze pages (dim : 27 x 20,5 sauf le premier feuillet : 12,5 x 20,5), donné à Jean Labbé par Mme Francis Jammes au printemps 1950. Non daté. Signé au crayon de papier. Folioté. Le texte est en grande partie de la main de l’épouse du poète, avec quelques corrections manuscrites de l’auteur et sa signature au crayon. Reliure toile verte (28 cm), commandée par Jean Labbé.

Ms 443 (Pau) / Consulter le document sur Pireneas

Le texte est dédicacé « à la Comtesse Hélène Amor de Celani » (fille de Mme Amor, née de Yturbe, qui fut la troisième épouse du baron Frédéric-Arthur Chassériau) :

Un botaniste ami vous offre pêle-mêle
La recette d’un jour dans son soir d’Emmaûs
Pas de noms finissant par um ou bien par us
À mes fleurs qui ne sont rien que spirituelles !

Le lycéen Francis Jammes, du haut de ses dix-huit printemps, composa un herbier de 165 planches. Les taxons collectés lors de ses promenades sur les bords de la Garonne, du côté de Verdelais ou de Cenon, y sont encore dûment nommés en latin. C’est que le jeune homme se passionna pour la botanique, et ce d’autant plus qu’il aima ce « bon » Armand Clavaud qui officiait au Muséum de Bordeaux et fut son professeur : « Là, notre initiateur nous apprenait à déterminer le drosera intermedia, le thesium humifusum, le quercus sempervirens, le xanthium spinosum ». Jammes continua de s’intéresser aux fleurs et aux plantes sa vie durant et il n’était pas peu fier quand il pouvait faire état de ses connaissances en la matière. Mais le botaniste était aussi poète. Comme le confirmerait, par exemple une lettre à Jean Lorrain, il ne s’en tint donc pas aux taxinomies classiques des Linné, Candole, Bonnier et autres savants :

Plus encore que la lueur de la mer, plus encore
que le chant des oiseaux, les plantes et les pierres nous
parlent, car leur sublime silence n’est qu’un accueil réservé à nos
douleurs, à nos fautes, à nos peines. Elles sont des confesseuses et des consolatrices.

Avec sa Pharmacie du Bon Samaritain, Jammes renoue avec de vieux traités de botanique et même avec la « théorie des signatures » dont Michel Foucault a parlé dans Les Mots et les choses. Certes, le botaniste va s’intéresser aux vertus médicinales des plantes, mais sa phytothérapie s’adresse plus à l’âme qu’au corps. Les douze parties de son opuscule portent ainsi des titres à la fois poétiques et symptomatiques :

I. – SIMPLE HERBE DE MARIE, ET GRAINES DE LA MÊME POUR ACQUÉRIR LA VERTU D’HUMILITÉ QUI DESSILLE LES YEUX À LA FOI MIEUX QUE LE SÉSAME N’OUVRE LA LOURDE PORTE DE LA CAVERNE D’ALI-BABA ET DES 40 VOLEURS.

« Réciter chaque jour quelques grains, tout au moins d’un chapelet », tel est le remède que Jammes emprunte à la Pharmacie du Bon Samaritain et conseille à ceux qui se plaignent de n’avoir pas la foi.

II. – QUE LE PERCE-NEIGE EST UNE IMAGE DE L’ESPÉRANCE.

« Le Perce-Neige n’est-il, avec son corselet vert couleur d’espérance, et ses ailes blanches qui palpitent à l’approche du printemps, la plante qui doit guérir de la morne manie du désespoir ? ».

III. – QUE LE FROMENT OU BLÉ ET LA CYMBALAIRE SONT IMAGES DE LA CHARITÉ.

Avant même d’éclore, la fleur de blé « prépare les moissons à venir » tandis que les touffes de la cymbalaire « s’appliquent aux blessures et aux lèpres des murailles ».

IV. – COMMENT IL FAUT DISCERNER ET CHOISIR LE BON ESPRIT ET REJETER LE MAUVAIS À L’EXEMPLE DE CERTAINES PLANTES SALUTAIRES ET ODORANTES, POURTANT ENRACINÉES AVEC D’AUTRES, NOCIVES ET NAUSÉABONDES, DANS UN MÊME TERRAIN.

Le « cèpe délicieux » pousse à côté de « l’oronge mortelle », la « belladone assassine » auprès du myrtil… Les parfums divergent. Les jardins botaniques concentrent « les familles, les espèces, les genres les plus contradictoires disséminés dans l’univers ». De même, « répandues sur une surface restreinte en somme », certaines âmes puisent « le sel de la pure doctrine » et « aspirent à l’ascension » tandis que d’autres s’empoisonnent et se perdent.

V. - QUE SI LA GRAINE DU TOURNESOL ROUGIT EN PRÉSENCE D’UN ACIDE, DANS UN LABORATOIRE, LA FLEUR TRIOMPHE AU BEAU SOLEIL DE DIEU, TELLE QU’UN OSTENSOIR, ET NOUS EST UN LARGE MOTIF DE JOIE.

« La foi chrétienne n’éclate-t-elle pas comme la face de ce beau tournesol qui jamais ne se détourne de l’astre dont il emprunte la couleur ? ».

VI. – QUE LE BUIS EST TOUJOURS VERT COMME LA VERTU DE CONSTANCE QUI N’A POINT DE SAISON PARCE QU’ELLE EST OPPOSÉE À CE QUI SE FANE ET IL EST UN IMPORTANT REMÈDE À LA DOSE DE CINQ DIZAINES DE GRAINS AVEC SIX GROS EN OUTRE NOMMÉS PATERS, ET TROIS PETITS DE SURPLUS.

Le buis est « enraciné, invincible, comme la force des humbles ».

VII. – QUE LE LAURIER-ROSE EST COMME LA VIERGE SAGE QUI AVAIT PRIS SUFFISAMMENT D’HUILE POUR SA LAMPE ET NOUS INVITE À LA VERTU DE PRUDENCE.

Quand il pleut, le laurier-rose, « fils du désert » recueille et conserve l’eau ; quand vient l’été, il la redistribue « au parenchyme altéré ».

VIII. – QUE LE NÉNUPHAR BLANC DONT JADIS ON SE SERVAIT CONTRE LA FRÉNÉSIE DES SENS CORRESPOND EFFECTIVEMENT À LA VERTU DE CHASTETÉ PAR LA MANIÈRE DONT IL SE COMPORTE AU MILIEU DU MARÉCAGE.

La boue glisse sur le tissu de sa corolle, de telle sorte que le nénuphar blanc reste blanc malgré un biotope souvent vaseux.

IX. – LE NOM LATIN DE LA PATIENCE SEMBLE ANNONCER UNE JOLIE PLANTE, ET IL Y EN A PEU D’AUSSI MAL FAITES, ET D’UNE AUSSI TRISTE APPARENCE.

« Patience, il faut prendre ton mal en patience, elle est l’unique remède, offert par Dieu ».

X. – « NI L’OR NI LA GRANDEUR NE NOUS RENDENT HEUREUX » MAIS LE CALME, ET POUR L’ACQUÉRIR, IL FAUT IMITER LA MOUSSE.

« La mousse se fait assez humble, petite et plate, pour n’être pas agitée par les vents ; elle préfère aux orages des villes et des palais le toit de la chaumière ».

XI. – DE L’AMOUR DE LA SOLITUDE ET DU SILENCE, CONSEILLÉ PAR L’AUTEUR DE L’IMITATION ET LES PÈRES DU DÉSERT, ET DONT NOUS TROUVONS SINGULIÈREMENT L’EXERCICE DANS UNE PLANTE APPELÉE VALISNERIE QUI SE RENCONTRE DANS LE RHÔNE ET LE CANAL DU LANGUEDOC.

La longue tige de la valisnerie permet à cette fleur de se recueillir au fond des eaux ou, quand elle se déroule, « de venir respirer à la surface, et de s’y enivrer de soleil ».

XII. – QUE LA POMME DE PIN (SAINT JEAN DE LA CROIX AIMAIT LES BOUQUETS DE ROSES EN FORME DE POMME DE PIN) PEUT RENDRE L’ÉQUILIBRE MENTAL À CEUX QUI L’ONT RENDU LORSQU’ILS SE DEMANDENT S’ILS N’ONT PAS FABRIQUÉ LEUR PROPRE CŒUR, LEURS PROPRES POUMONS, LEUR PROPRE ESTOMAC, LEUR PROPRE FOIE, LEUR PROPRE CERVELLE, TOUTES CHOSES QU’ILS N’APERÇOIVENT MÊME PAS EN EUX  − CAR ILS SONT LOIN D’ÊTRE TRANSPARENTS.

« Quelle géométrie ! quelle mathématique ! » dans une pomme de pin : « L’ordre, dans la nature, encore que troublé parfois par la seule faute de l’homme, est l’une des preuves très simples de l’existence de Dieu ».

Peu de temps après avoir été dactylographié à 20 exemplaires numérotés et annotés par l’auteur, le texte de La Pharmacie du Bon Samaritain a été publié sous la forme d’une plaquette de 23 pages intitulée La Pharmacie du Bon Samaritain « aux Œuvres représentatives » en 1935. Cette plaquette tirée à 150 exemplaires était illustrée par Marie de Castries d’un frontispice en couleurs dont l’original était encadré dans le salon d’Eyharzea à Hasparren.

Frontispice par Marie de Castries, La Pharmacie du Bon Samaritain, Bibliothèque Patrimoniale Pau, cote 156637R

Ce texte a été repris dans une plaquette collective Tombeau de Francis Jammes, hommage posthume publié par les « Cahiers des Poëtes catholiques », à Bruxelles, en mai 1939, sous le titre Au Bon Samaritain, pharmacie.

La Bibliothèque Patrimoniale de Pau possède l’ouvrage suivant : Au Bon Samaritain, précédé de « Le Poète et l’Inspiration », Bruxelles, Les Cahiers du journal des poètes, 1939. (Cote : 156677 R). Ce mince volume présente un « portrait inconnu de Francis Jammes », réalisé en Belgique. Il contient aussi un « poëme inédit », intitulé « Le Feu du Prodigue ». Daté de juin 1937, ce poème clôt le livre (pp. 43-54). Il s’agit en fait de l’un des Feux (le troisième), œuvre inachevée qui devait former le second volet d’un diptyque dont les Sources constituaient le premier (Sources et Feux paraîtront en 1944). Le manuscrit de trois autres « Feux » (les I, II et VI) est conservé à Pau (P : Ms 520). Ce poème inédit en 1939 a été repris dans OPC, pp. 1203-1206.

Page de titre Au Bon Samaritain / Bibliothèque Patrimoniale Pau, cote 156677R
Francis Jammes dans l’atelier de Henri Braun, frère de Thomas Braun, en 1900

Le Ms 443 de Pau doit être rapproché de trois documents que détenait l’Association Francis Jammes : un brouillon de plan, un manuscrit partiel antérieur au Ms 443 et deux des 20 exemplaires dactylographiés du texte définitif. Ces trois documents sont désormais conservés à la Médiathèque Jean-Louis Curtis, à Orthez, respectivement sous les cotes Ms 85a, Ms 85b et 85c.

 

Bibliographie : 1/ « L’herbier de Francis Jammes », La Revue des Deux Mondes, 15 novembre 1958, pp. 314-328. Repris dans Gérard Fauconnier, Jean Labbé. Poète, écrivain, marin. Sa vie, son œuvre (Préface de Georges Saint-Clair), Éditions Gascogne, 2009, pp. 284-296. 2/ « Pensées en forme de fleurs », Bulletin de l’Association Francis Jammes, n° 23, juin 1996, pp. 68-79.

 

Jacques Le Gall