Peu à peu, Francis Jammes le romantique fera du dépouillement sa règle d’or. Comme le confirmerait la préface de 1922 au Premier Livre des Quatrains, c’est sans doute dans ce recueil qu’il a le plus consciemment cherché à atteindre cette « épuration du génie », ce « moment où se décante une œuvre et où l’extrême simplicité apparente n’est que l’opération de la complexe expérience » (OPC, p. 857). Depuis toujours, Jammes avait essayé de suggérer un état intérieur sans le décrire. Pour parvenir à ce que quatre vers « enferment et retiennent le drame et la méditation d’une existence entière », le poète croise, sans s’en douter tout à fait, le chemin des haikistes japonais, en particulier du fueki-ryûko de Matsuo Bashô : ce juste équilibre entre l’immuable, l’éternité qui nous déborde (fueki) et le fugitif, l’éphémère qui nous traverse (ryûko). En plus des épreuves en placards du Troisième Livre des Quatrains qui se trouvent à Pau sous la cote Ms 434, quatre manuscrits de divers Quatrains sont conservés à Orthez : le Ms 32, le Ms 131, le Ms 237 et le Ms 265.
Ms 32 : Manuscrit autographe (3ff. ; dim : 32,5 x 24,5 et enveloppe courante), signé, non daté. Encre. Acquis par l’Association Francis Jammes le 19 février 1985.
Avec l' enveloppe adressée à Maurice Martin du Gard (avril 1931), ce manuscrit contient deux Quatrains : « Mater lacrymosa » (les quatre vers sont suivis d’un extrait du graduel de la Fête de tous les Saints) et « Pastorale » (dont une seconde version, on la verra plus bas, est conservée à Orthez : Ms 131. Le premier de ces Quatrains appartient au Livre IV, porte le numéro LX, et date de 1925 (OPC, p. 910) ; le second appartient au Livre I, porte le numéro LIX, et date de 1923 (OPC, p. 869).
MATER LACRYMOSA
PASTORALE
Ms 131 : Manuscrit autographe (6 ff. A à F ; dim : 10 x 17), non signé, non daté, encre et crayon de couleur sur papier à lettre gris foncé. Sans doute s’agit-il d’une copie par Jammes, on ne sait à qui destinée. Les quatrains qui figurent sur les feuillets A, B, C et F appartiennent au Quatrième Livre des Quatrains, publié au Mercure de France en 1925 : ce sont les numéros XX (OPC, 902), II (OPC, 898), V (OPC, 899) et LXV (OPC, 911). Les deux autres (feuillets D et E) au Premier Livre (Mercure de France, 1923) : ce sont les LVIII (OPC, p. 869) et LIX (OPC, p. 869).
SELON SAINTE GERTRUDE
LES MEUTES LIQUIDES
MARINE INTÉRIEURE
FRAPPÉES
L’AGONIE DE L’AÏEUL
Au bas de ce dernier Quatrain du Ms 131 qui est aussi le dernier du recueil, le poète a ajouté à l’encre noire une note qui, bouclant la boucle ou plutôt refermant l’éventail, renvoie à la goutte de rosée du quatrain « Selon sainte Gertrude » : « Refermant l’éventail, j’en reviens à la simple goutte d’eau ».
Ms 237 : Manuscrit autographe (1 f. ; dim : 12 x 16 et 1 f. ; dim : 22 x 17), signé, sans date [1922-1923]. Encre. Copie par Francis Jammes, destinée à être encadrée. Le Quatrain – c’est le second du Deuxième Livre – a été dédié à Paulette Iriart, Franciscaine missionnaire de Marie. Titre : « La fraise sauvage ». La page de titre autographe du Deuxième Livre des Quatrains (Paris, Mercure de France, 1923) accompagne le poème (OPC, p. 871)LA FRAISE SAUVAGE
Petit cœur d’ombre rouge à verte collerette
Et plus compatissant que n’est le cœur humain,
Toi qui, sans hésiter, au pauvre qui s’arrête
Te donnes tout entier sur le bord du chemin !
Ms 265 : Manuscrit autographe (2 ff. ; dim : 27,5 x 21 et enveloppe courante avec adresses du destinataire et de l’expéditeur), signé, sans date. Encre. Calligraphiés et destinés à être envoyés à Madame Marie-Blanche Lefèbvre le 1er novembre 1935, il s’agit de la copie par l’auteur de deux Quatrains du Deuxième Livre : « Quand même » (numéro XXXVII) et « Reprise » (numéro XXXVIII). Dans le premier de ces Quatrains, le père s’adresse à l’une de ses filles (Marie, Anne ou Françoise), en partance pour le pensionnat de Fontarabie que dirigeait Élisa Jammes. Publication au Mercure de France en 1923. OPC, p. 892.
QUAND MÊME
Non ne m’écoute pas. Je suis vieux, toi petite.
Pars pour Fontarabie où t’attend Élisa.
Je sais qu’il n’est pas vrai qu’aujourd’hui tu me quittes :
Toi, ton berret marron, vous serez toujours là.
REPRISE
Déchirons la tristesse ainsi que le soleil
Partage un banc de brume au flanc de la montagne
Et nous ne verrons plus que l’espoir qui nous gagne
Et la verte prairie et les rosiers vermeils.
Jacques Le Gall