PAU

De Tournay, le jeune Francis alla assez souvent rendre visite à ses grands-parents maternels, Augustin et Éléonore Bellot, qui habitaient à Pau. Pau (que M. de Monpezat administrait depuis peu) ne comptait que 27 300 habitants mais « était fort brillant à cette époque ». De splendides hidalgos (Jammes aimera toujours l’Espagne) s’y pavanaient, ébouriffant le panache que le bon roi Henri a planté une bonne fois pour toutes au faîte de cette « cité élégante et gobeuse ».

Certains fastes de la royale cité le marquèrent dès ce moment-là, dont un défilé de chars descendus des coteaux bénis où mûrit le Jurançon couleur de maïs. Mais Victor Jammes venant d’être nommé receveur à Sauveterre-de-Guyenne et n’ayant pas souhaité que le suive sa famille, Madame Jammes et son fils furent, pendant près d’une année, accueillis chez les Bellot où ils retrouvèrent Marguerite, la sœur aînée de Francis.

Escalier à Pau, 3 passage Serviez / Association F. Jammes, Orthez

 

L’œuvre de Jammes procure quelques descriptions – fragmentaires – de cette maison paloise sise au 3 passage Serviez. En particulier de son « riant escalier » et de la galerie qui donnait sur un mur couvert d’un lierre dont l’obscure compacité abritait des moineaux apeurés. Dans l’appartement lui-même, un « coffre mystérieux », servait de lit à l’enfant. Il ressuscitait le berceau de la naissance et tenait de l’extraordinaire :

 

Chez mes grands-parents je couchais sur une malle en bois de camphre, cloutée de cuivre, si vaste que jamais je n’ai vu sa pareille. Elle avait été rapportée des Indes par Marcellin Bellot, frère de mon arrière-grand-père maternel qui n’avait pas su dégager des eaux du Gange l’or qui s’y trouve, ni extraire des veines de l’Himalaya le diamant et le saphir.

 

À Pau, l’enfant découvre aussi quelques autres « types », dont « un être fantastique, très ‘conte d’Hoffmann’, et qui se faisait appeler le général Pichegru. » (De l’Âge divin à l’Âge ingrat, p. 51). Ou comme le père Fleury, un juif archétypal, converti et prosterné en l’église Saint-Jacques. Ou, pris en aversion, comme ce magistrat de la Cour d’Appel qui prétendit un jour juger l’enfant. Ou comme ce « type du classique invalide, constellé de médailles » qui s’enivrait d’eau-de-vie et de l’idée qu’Abd-el-Kader se trouvait emprisonné au château de Pau.

Les flèches de l'église Saint-Jacques / Ouvrir l'image dans Pireneas

 

Un jour, l’enfant repéra, rue des Arts, un « cylindre mirobolant » : une boîte de Dillenius, verte comme il se doit, sans doute l’un des objets les mieux aimés du naturaliste et les plus cités par l’écrivain à venir. À défaut de posséder cet inaccessible trésor, cette « émeraude des Mille et Une Nuits », le frère et la sœur furent pourvus d’un filet à papillons et chassèrent ces lépidoptères au long des allées de Morlàas.

De l’histrionesque aéronaute qu’il vit s’élever au-dessus de la Haute-Plante, l’enfant gardera un souvenir de sympathie amusée. S’il détestait la foire et les promenades foraines, il aimait contempler les montagnes depuis le Boulevard des Pyrénées puis descendre vers la basse ville où le recevait, 6 rue Marca, sa grand’tante Aménaïde Lajusan, mariée au minotier-brasseur palois Théodore Heïd. C’est chez elle, que Francis Jammes rencontra pour la première fois, le 18 août 1907, Ginette Goedorp qui allait devenir sa femme.

Panorama des Pyrénées, vue prise de la Place Royale à Pau, lithographie par Gorse / Ouvrir l'image dans Pireneas

 

Pour ce qui est de ses « minces études » paloises, l’enfant fréquentait le cours des demoiselles Letourneau « qui avaient appris à lire au maréchal Bosquet ». Exceptionnellement, car Jammes a souvent la dent dure pour ses professeurs successifs, il conservera « de cette humble classe le souvenir le plus doux. » (De l’Âge divin à l’Âge ingrat, p. 48)

De sa période paloise, le mémorialiste dira avoir retenu sept choses. La septième et dernière paraît de loin la plus importante :

 

c’est que l’on souffre souvent sans savoir le dire

(De l’Âge divin à l’Âge ingrat, p. 73)

 

Nous retiendrons quant à nous, dans Ma France poétique (OPC, p. 918) deux poèmes qui montrent que Francis Jammes n’est pas resté insensible à la douceur et aux charmes de cette ville où il passa une année pleine et où il se rendit bien souvent. Le premier s’intitule « La ville de Pau » et commence ainsi : « Elle ouvre l’éventail d’azur des Pyrénées ». Le second, intitulé « Strophe sur la terrasse de Pau » parle encore d’azur, mais il s’agit ici de celui du gave que surplombe la sublime terrasse.

 

La ville de Pau

Elle ouvre l'éventail d'azur des Pyrénées
Sur les coteaux du gave aux villas fortunées.
Son boulevard, balcon ou s'attarde l'été,
Où l'hiver ne connaît que la sérénité,
ne cesse de fleurir d'Anglaises élégantes
Que suivent les grands chiens et de lords qui se gantent.
Sur la place, un naïf orchestre est endormi
Que la cigale en vain rappelle de son cri.
[...]

 

ASSAT ET LA CAMPAGNE CIRCUMPALOISE

Les réjouissances paloises paraissaient « trop civilisées » à l’enfant. Pour s’en libérer, il pouvait toutefois compter sur « la brave Graciette » qui tenait le ménage des grands-parents Bellot : native de Lucq-de-Béarn, « plutôt disgraciée » en dépit de son nom, c’était « une primitive », autrement dit – dans l’esprit de Jammes – une savante. Savante d’une science « profonde » qui ne pouvait qu’échapper aux esprits étroitement rationnels. C’est Graciette qui, le dimanche après-midi, conduisait l’enfant « à la campagne, qui est si belle autour de Pau ».

Ernest Daran, dit

 

Le séjour palois était donc heureusement entrecoupé de visites. À Orthez, aux grand’tantes Clémence et Célanire. Mais aussi à l’oncle maternel : Ernest Daran. Ce dernier habitait Assat, à deux ou trois lieues à l’est de Pau, dans la plaine fertile qui s’étend entre le Gave et le Lagouin. Ce « Mexicain farouche » envoyait chercher la famille Jammes dans son break que traînaient des chevaux entiers couleur d’ébène, « tirait comme Buffalo » au moyen d’une carabine perfectionnée et pour sortir, flanqué de son chien, s’accoutrait d’un poil de chèvre digne de Robinson Crusoé :

 

Cet oncle, l’oncle Ernest, était au demeurant le meilleur des hommes, et aussi riche que bon, comme disent les Espagnols. Mais tous les tonnerres du Popocatepelt, tous les boucans des Caraïbes, tous les cris de guerre des Aztèques animaient ses prunelles, bronzaient son teint, roulaient dans sa voix. Il avait passé trente-cinq ans, vêtu de cuir et armé, dans la forêt fabuleuse où il chevauchait en escortant des trésors ; mais toujours d’une mise élégante, sur les places en fête où se jouaient le nocturne des œillades créoles, et dans la maison de banque où les pots de chambre étaient d’or massif, et où le cuisinier parisien, en maniant la poêle, déclamait des vers de l’Énéide. Que ne m’a-t-il point raconté dans sa villa d’Assat qui s’ouvrait sur le déroulement bleu de sa montagne natale ! Saturé de tempête et de sable ardent, il était revenu, tel que Sindbad le marin à Bagdad, terminer en de paisibles jours ses longues tourmentes. Ainsi, sur les douces plages, le flot.

De l’Âge divin à l’Âge ingrat, pp. 45-46

 

 

Dans cette maison d’Assat, l’oncle « conquistador » recevait, entre autres, un tabellion carliste et tartarinesque nommé Sempé ainsi qu’un vétéran du siège de Sébastopol, le commandant Laslandes.

Ernest Daran, dit le mexicain
Maison de Ernest Daran à Assat / Ouvrir l'image sur Pireneas

 

Plus important que tout le reste, c’est dans cette « hacienda béarnaise », que Francis Jammes aurait découvert sa poésie, en septembre 1888 :

 

C’est dans une petite chambre bleue que j’ai découvert ma poésie,
à Assat, dans l’après-midi déclinant, un certain soir. On entendait
sous les cèdres les cris mélancoliques des enfants et les rires des jeunes filles.

L’Amour, les Muses et la Chasse, p. 69.

Bibliographie : Jacques Le Gall : « Du Mexique à Assat. L’Oncle d’Amérique de Francis Jammes : Ernest Daran (1828-1898) », Bulletin des Amis de Nay et de la Batbielle, juin 2018, trente-septième année, pp. 36-51.