L’enfant avait vécu trois ans à Saint-Palais, le jeune homme et l’adulte excursionnèrent souvent au Nord et au Sud de l’Eskual Herria, le « Patriarche » va passer les dix-sept dernières années de sa vie à Hasparren. Blotti au pied du mont Ursuya (« endroit crevé de sources », en basque), ce gros bourg était, dans l’entre-deux guerres, une petite ville prospère grâce à l’agriculture et aux foires, grâce aussi à la quinzaine d’entreprises dédiées à la fabrication de chaussures (elles employaient plus de mille cinq cents personnes).

Hasparren : Vue générale prise de Pégna / Fonds Association F. Jammes, Orthez

Le mont Hasparren, ma dernière patrie,
Appose sur le ciel la ligne d’Ursuia,
Et cette signature atteste que ma vie
Comme une hauteur sombre au soir se dépouilla
Quatrième Livre des Quatrains, XIX

Francis Jammes regretta sûrement de devoir quitter Orthez. Il déclara parfois qu’il se sentait en « exil » à Hasparren. Mais, bien plus souvent, il avoua s’y trouver fort bien et fit du Pays basque « une seconde patrie » (Le Patriarche et son troupeau, p. 16), voire le plus beau pays du monde (voir Ms 456 à Pau) :

Les montagnes vêtues comme des infantes, recouvertes d’iris par les vents du Sud, et les collines pacifiques nouant leur ronde quand la brise les suspend aux tintements des clarines, où les trouverions-nous plus gracieuses que dans le Pays basque dont chaque ligne est une suprême leçon de sculpture ? Et quelle mer plus belle au monde que la mer dormant comme une perle dans la conque nacrée du golfe de Biscaye ? Nos paysages sont incomparables. Venez les voir, et vous saurez que rien ne se peut concevoir de plus beau.

En vérité, Jammes et les siens furent vite adoptés par les Hazpandars. Bien des voisins et des commerçants de la ville devinrent des amis, métayers et industriels de la chaussure l’invitaient quand un mariage venait à être célébré. Jammes lui-même adopta Hasparren (à l’exclusion de ses usines) et se mua vite en une espèce de notable dont l’exotisme n’empêchait pas, au contraire, qu’il fût souvent requis en diverses occasions, grandes ou petites : discours lors de l’érection du monument aux morts, présidence des distributions de prix ou des parties de pelote.

La place de Hasparren

Les deux frontons se font face dans la chaleur.
Les gradins sont remplis par trois mille amateurs.
Il semble que, béant et bleu, le ciel respire
Comme une mer où nul nuage ne se mire.
La palpitation de quelques éventails
Au parfum d’origan mêle celui de l’ail.
La place nette est un rectangle de lumière
Que l’ombre ronge un peu sur les bancs des premières.
Les joueurs sont en blanc, vêtus comme les murs
Qu’on croit voir se gonfler par moments dans l’azur.
Indifférent et sûr de lui, la taille haute,
Attirant, repoussant chacune des pelotes,
Mondragonès bientôt n’est plus qu’un balancier
Qui trace un quart de cercle autour d’un pied d’acier.
Ma France poétique, OPC, p. 960

Ramiro Arrue : Partie de Chistera, vers 1925Coll. Maria de Isasi
Jammes à la partie de pelote / Fonds Association F. Jammes, Orthez

Converti à une vie dévote, Jammes trouva d’ailleurs à Hasparren un peuple dont la religion − sereine mais intransigeante − lui convenait parfaitement. L’abbé Joseph Zabalo (Francis Jammes, le Ciel retrouvé, Éditions du Carmel, coll. « Témoins de vie », 2001 p. 114) souligne combien Hasparren était, à l’époque, « une ville sainte, fidèle comme aucune autre à de superbes offices religieux, pépinière de vocations sacerdotales et religieuses, habitée par près de quarante prêtres répartis entre la paroisse, l’école, le collège et la prestigieuse société des missionnaires diocésains, phalange composée par les prédicateurs les plus éloquents de la terre basque. »

Ce peuple croit plus fort à la résurrection
de ses cendres qu’à la poussée des chênes.

 Enfin, l’isolement de la petite ville n’empêcha pas les visiteurs illustres d’affluer à Hasparren. En séjour à «Arnaga» (la villa d’Edmond Rostand à Cambo), Anna de Noailles vint le voir dès septembre 1921.

Puis, parmi d’autres, se présentèrent Henri Ghéon, Darius Milhaud, Paul Valéry, le sculpteur G.-C. de Swiecinski, Maurice Martin du Gard, Arthur Chassériau, l’abbé Breuil (le paléontologue), Maurice Ravel, Ramiro Arrue … 

Anna de Noaillespar Philip Alexius de László, 1913
Arnaga, villa d’Edmond Rostand / Consulter le document sur Pireneas

Pour toutes ces raisons, Jammes aima ce pays qu’il qualifie souvent de « farouche » ou de « sauvage » et qui est très présent dans plusieurs de ses dernières œuvres, en particulier dans :

  • Le Mariage basque, publié en 1923 (Pau : Ms 132) ;
  • Les Robinsons basques ou le Conte à dormir debout, publié en 1925 (Pau : Ms 517) ;
  • Le Roman comique d’Oyharçabal et d’América, publié en 1928 (Pau : Ms 525 et Orthez : Ms 215).

C’est à Hasparren, le jour de la Toussaint, que le poète mourut d’un cancer, après « sept mois cruels de maladie » (Mémoires de Madame Francis Jammes). Ses obsèques, très suivies, eurent lieu le 5 novembre 1938.

Les obsèques de Francis Jammes à Hasparren
Les obsèques de Francis Jammes à Hasparren
Les obsèques de Francis Jammes à Hasparren
Les obsèques de Francis Jammes à Hasparren

Les obsèques de Francis Jammes, le 5 novembre 1938. (Fonds Association F. Jammes, Orthez)

 

Non je ne te répudierai point, province farouche qui fais la contrebande
sur tes mules et l’amour dans les ravins.

Le Patriarche et son troupeau, p. 16

Bibliographie : Jacques Le Gall : « La dernière maison de Francis Jammes saccagée… », Pyrénées, n° 249 (Bulletin pyrénéen n° 487), janvier 2012, pp. 83-85.