Pau

De Tournay, le jeune Francis Jammes avait eu, à plusieurs reprises, l’occasion de se rendre à Pau où habitaient – 3 passage Serviez (aujourd’hui rue Alexandre Taylor) – ses grands-parents maternels, Augustin et Éléonore Bellot. Il y fit aussi « un séjour plus long que de coutume » (De l’Âge divin à l’Âge ingrat, p. 43) quand Louis-Victor Jammes, le 12 juin 1875, fut nommé au poste de Receveur à Sauveterre-de-Guyenne.

À Pau, pourtant « fort brillant à cette époque », l’enfant semble s’être souvent ennuyé. Du moins y fut-il un « enfant sombre », comme l’avouent les trois derniers vers d’un poème écrit pour Ma France poétique :

LA VILLE DE PAU

Elle ouvre l’éventail d’azur des Pyrénées
Sur les coteaux du gave aux villas fortunées.
Son boulevard, balcon où s’attarde l’été,
Où l’hiver ne connaît que la sérénité,
Ne cesse de fleurir d’Anglaises élégantes
Que suivent de grands chiens et des lords qui se gantent.
Sur la place, un naïf orchestre est endormi
Que la cigale en vain rappelle de son cri.
Quelques consommateurs regardent ceux qui passent.
Ô surprise ! On entend un coup d’archet. La glace
Est rompue, et l’orchestre en sourdine reprend.
Une nourrice, à bras tendus, lève un enfant,
Et son linge est plus blanc que son lait confortable.
Voici le roi d’Épire assis à cette table.
Il ôte son lorgnon pour mieux lire un journal,
Cependant qu’Henri IV (il n’est pas à cheval),
Fait un geste d’accueil, de sa main de colosse,
À deux petits bourgeois en voyage de noce.
Ils trouvent ce grand roi fait tout exprès pour eux
Parce qu’on leur a dit qu’il était amoureux.
À l’ouest le grand parc s’étend comme de l’ombre.
Et, touché malgré moi, je songe à l’enfant sombre
Que je fus dans ces lieux, alors qu’à Trespouey
Je battais du tambour à l’abri du soleil.

Ma France poétique, OPC, p. 918

 

L’écrivain n’a laissé que d’éparses descriptions de la maison paloise. Il se souviendra de l’entrée de l’immeuble : « Il y avait un riant escalier dont m’étonnait la porte dont le verre était si beau qu’il était cannelé. ». Et aussi de la galerie qui donnait sur une cour intérieure dont un mur, recouvert de « lierre compact », laissait parfois entendre « les froissements d’ailes de moineaux apeurés » (« Nocturne à Pau », Les Nuits qui me chantent, Flammarion, 1928, p. 25). Il se souviendra surtout, avec son agaçante tapisserie (« ses baguettes bleues, déposées en losange, semblaient se dédoubler, vues sous un certain angle »), de son « étroite » chambre qu’élargissaient pourtant une vierge dressée sur la commode et – très présente dans sa mémoire et ses poèmes – d’une très exotique malle en bois de camphre qui lui servait de lit en même temps que d’onirique vaisseau :

 

Chez mes grands parents je couchais sur une malle en bois de camphre,
cloutée de cuivre, si vaste que jamais je n’ai vu sa pareille.
Elle avait été rapportée des Indes par Marcellin Bellot,
frère de mon arrière-grand-père maternel »

De l’Âge divin à l’Âge ingrat, p. 44

Escalier à Pau, 3 passage Serviez / Association F. Jammes, Orthez

 

Assat

L’oncle maternel – Ernest Daran – habitait Assat, à quelques encablures de Pau, vers cet Orient constellé qui conduit à Lourdes et Tournay.

 

[…] du côté d’Assat, la nature sourit parce que déjà l’on peut apercevoir au loin la chaîne posée à plat sur les pelouses unies. Je dis « déjà », parce que c’est à la lisière des Hautes-Pyrénées et des Basses que commence ce doux mouvement de la plaine, à l’est, qui en fait une mer étale, ou, plutôt, une immense et lisse plage d’émeraude d’où les flots se seraient lentement retirés pour suspendre à l’horizon leurs crêtes écumantes de neige.

L’Amour, les Muses et la Chasse, p. 145.

Ernest Daran, dit
 Maison de Ernest Daran à Assat  / PHA53 / Consulter le document sur Pireneas

 

En plus de regarder du côté d’une Bigorre mariale et natale, la villa du « Mexicain » avait un charme (au sens fort de ce mot) dont l’exotisme ne pouvait qu’enchanter l’enfant. C’est là, dans une autre chambre exiguë et bleue – elle fait donc pièce avec la chambre paloise – que le poète se découvrit :

 

C’est dans une petite chambre bleue que j’ai découvert ma poésie,
à Assat, dans l’après-midi déclinant, un certain soir.
On entendait sous les cèdres les cris mélancoliques
des enfants et les rires des jeunes filles.