Henri et Marie Dufaur

(1842-1903)

Portrait de Charles Lacoste / Fonds Association F. Jammes Orthez

 

Né à Floirac (Gironde) le 3 mars 1870. Fils d'un comptable bordelais et d'une mère créole. Passionné de peinture, c’est d’abord un autodidacte.

En 1893, il fit la connaissance d’Hubert Crackanthorpe grâce à Francis Jammes, leur ami commun. Le jeune Anglais l’invita à Londres et l’hébergea au 36, Chelsea Gardens en 1894 et 1896. Il fit ensuite de fréquents séjours à Londres qui lui permirent d’étudier de près les œuvres de John Constable et, plus encore, de William Turner exposées à la National Gallery. De là sans doute sa prédilection pour les effets de lumière et d’atmosphère ; de là aussi sa conviction qu’un paysage peint doit pouvoir exprimer une idée ou un sentiment. Nombreuses sont les toiles rapportées de Londres et nombreux furent les intellectuels ou poètes londoniens qu’il put rencontrer, tels John Gray, Richard Le Gallienne ou Ernest Dowson.

Charles Lacoste s’installa à Paris en 1899 pour se consacrer entièrement à son art. Il fut aussi l’ami du collectionneur Gabriel Frizeau, de Rouault, Monticelli, Bourdelle, mais aussi d’Odilon Redon, de Henry Lerolle, de Maurice Denis et du compositeur Henri Duparc… Il meurt à Paris le 1er mars 1959 et repose au petit cimetière de Pardies (près d’Orthez) où il avait acquis une maison en 1923.

L’amitié avec Jammes remonte quant à elle à l’année 1884. Le jeune poète herborise « dans la banlieue bordelaise, aux allées Boutaut », quand il rencontre Charles Lacoste. Ce dernier ne cessera d’être, « au long de la vie, le frère le plus aimant et le plus aimé ». Il soutint Jammes en toutes occasions, en particulier en le recommandant à des mécènes comme Gabriel Frizeau ou Arthur Fontaine. Le mémorialiste insiste sur le « caractère familial » de cette affection : « Je vois l’affection de Charles Lacoste comme un bras et une main tendus vers moi, si fermes que plutôt que de fléchir ils se briseraient. » (L’Amour, les Muses et la Chasse, p.12)

Charles Lacoste vers 1950 / Fonds Association F. Jammes Orthez
Francis Jammes à son bureau vers 1900 / Fonds Association F. Jammes Orthez

 

Mais ce qui réunit les deux adolescents, c’est une passion commune pour la poésie. Chacun l’exprimera à sa manière : l’un au moyen des mots, l’autre en peinture.

Ils s’échangent, dans le secret, leurs œuvres débutantes et leurs projets. Par exemple, Francis ayant un jour fait part de son rêve d‘habiter un volcan éteint du Pacifique, Charles lui apporte, dès le lendemain, une aquarelle visant à illustrer cette étrange lubie.

Cet ami fraternel a recopié plusieurs des poèmes que Jammes a consignés dans son carnet primitif intitulé Moi (P : Ms 267).

À Bordeaux, Jammes était souvent retenu à dîner, rue Eugène-Ténot, par les parents de Charles Lacoste :

RUE EUGÈNE-TENOT

Lacoste, souviens-toi que vous m’accueilliez
Comme d’antiques gens un dieu dans leur foyer :
C’est-à-dire que vos beaux cœurs sans alliage
M’offraient leurs coupes d’or sur du pain de ménage.
Ta mère nous servait des crabes de corail
Dont les pattes s’ouvraient ainsi qu’un éventail
Sur la grenade en fleur d’une bouche antillaise.
Ton père avec grand soin entretenait la braise
D’une pipe de terre, au frêle et long tuyau,
Dont la fumée était de l’azur le plus beau.
Il était bon ; il parlait peu tel que les sages.
Il aimait son jardin ruisselant d’arrosage.
Sans secousse, il est mort comme l’horticulteur
Surpris par le sommeil dans ses pois de senteur.

Ma France poétique, p. 936

 

Il écrivait ou lisait dans la chambre de son ami qui dessinait ou peignait :

C’était, il t’en souvient, Charles Lacoste,
Le plus humble des feux, ce feu de coke,
Le feu de nos seize ans, l’âge où l’on porte
À son veston son cœur comme une rose
Sans se douter qu’un jour on vous le vole.
Et tu peignais la neige aux branches mortes
Qui s’écroulait parfois dans la cour morne ;
Et je lisais les poèmes d’automne
Que Charles Baudelaire vieux et pauvre
En entendant scier le bois entonne.

Sources et Feux, OPC, p. 1221 [MS]


À Bordeaux encore, les deux amis déambulent de conserve, parfois la nuit. À Pau est conservé le manuscrit autographe (pièce du P : Ms 452) de deux sonnets intitulés « Pochades I » et « Pochades II » qui évoquent le souvenir des années bordelaises de l’amitié Jammes-Lacoste :

Jammes, amoureux d’une pure jeune fille, entraîne souvent son ami dans le quartier des Capucins :

La maison aimée, dans ce quartier clérical aussi vieux que j’étais jeune, c’est la nuit qu’elle m’émouvait le plus par sa netteté.

J’entends les pas de mon ami et les miens marteler le silence au clair de lune dont sa façade est frappée. Les volets ont été soigneusement clos sur les nombreux châssis qui encadraient autant de petits carreaux d’un verre verdâtre, comme de miroirs mal fondus. Je la regardais dormir.

Les Nuits qui me chantent (« Nocturne de la maison aimée », pp. 48-49)

 

Par la suite, Jammes et Lacoste se retrouvèrent souvent : à Bordeaux puis à Paris ou à Hasparren, ponctuellement à Pardies (mariage de Charles de Bordeu) ou à Saint-Georges-de-Didonne. Le peintre offrit plusieurs toiles dont un portrait peint en 1889.

Le poète, quant à lui, dès 1893, lui dédia, ainsi qu’à Hubert Crackanthorpe, sa plaquette Vers, puis « Je suis dans un pré… » (De l’Angélus de l’aube à l’angélus du soir), puis, en 1936, « Source de Provence ». Des notes manuscrites de Jammes sont conservées à Pau (Ms 128) sur divers peintres, en particulier Charles Lacoste et Marie-Madeleine Nohain.

Maquette de Ch. Lacoste pour un décor de La Brebis égarée / Ms452 / Consulter le document sur Pireneas
Portrait de Jammes par Charles Lacoste / Fonds Association F. Jammes Orthez

 

En 1895, le projet de publier sur Baudelaire un long poème qu’aurait illustré Charles Lacoste échoue, mais d’autres collaborations réussissent : Charles Lacoste réalisera par exemple les toiles évoquant le Béarn et Burgos pour La Brebis égarée.

Tant dans la vie que dans l’art, Francis Jammes et Charles Lacoste furent jusqu’au bout de véritables amis. En témoigne aussi la correspondance conservée à La Bibliothèque Patrimoniale de Pau : Ensemble de cinq lettres (1906 - 1939) de C. Lacoste à F. Jammes, à sa mère et à sa femme. Cote Ms232.

Jammes et Lacoste à Pardies, entre 1933 et 1937 ; Association Francis Jammes, Orthez

 

Quelques tableaux de Charles Lacoste :

Concernant le tableau "Orthez sous la neige" Jammes s'exprime ainsi :

 

"Je possède un tableau tout plein de grandeur et de misère [...] :
des toits taillées comme des diamants, dans la neige et la cendre d'un ciel de Toussaint."

 

Orthez sous la neige, Tour Moncade / 1889
Charles Lacoste, Autoportrait / 1928
Bordeaux, Quai des Chartrons / 1893
Balayeuses de la gare de Bordeaux / 1889

 

Jacques Le Gall