Remy de Gourmont

(1858-1915)

Odilon Redon / Consulter le document sur Musée-Orsay

 

De mère créole, Odilon Redon a été conçu en plein océan, mais est né à Bordeaux, le 22 avril 1840. Il passe son enfance rêveuse et semble-t-il assez malheureuse entre la grande ville aquitaine et le domaine de Peyrelebade, dans le Médoc. C’est là que l’enfant découvre la campagne, l’observe, commence à dessiner. À sept ans, une vieille bonne l’accompagne à Paris où il découvre les musées.

De retour à Bordeaux, comme Jammes – ce n’est donc pas le seul point commun entre les deux hommes – il gardera de sa scolarité le souvenir « le plus triste et le plus lamentable ». Sa découverte de Millet, Corot, Gustave Moreau le décide à devenir artiste. À part entière après l’abandon de ses études d'architecture.

À Bordeaux, il se lie d’amitié avec le botaniste Armand Clavaud qui l'initie aux sciences et à la littérature et le fera connaître à Francis Jammes. Il se passionne pour Darwin et Lamarck, lit Les Fleurs du Mal de Baudelaire qu’il illustre en partie. Il se forme à la technique de l'eau-forte et à la sculpture, à Paris et à Bordeaux. Il participe comme simple soldat aux combats sur la Loire pendant la guerre de 1870.

Après la guerre il s’installe à Montparnasse jusqu'en 1877, mais retourne à Peyrelebade l’été et passe l’automne en Bretagne. Il fréquente désormais nombre d’artistes (Fantin-latour, Ernest Chausson…), voyage. Intitulé Dans le Rêve, son premier album de lithographies explore l'inconscient par-delà les « portes d’ivoire » du songe. Il faut lire les lignes que Joris-Karl Huysmans consacre à Odilon Redon dans À rebours (1884).

Les années 1890 et le début du siècle sont une période de transformation, de mutation. L’artiste commence à utiliser le pastel ou l'huile et descend toujours plus profond dans les mystères de l’âme humaine. Odilon Redon va devenir un très grand coloriste et, sans doute, le plus grand peintre symboliste français. En 1899, il est présenté par Maurice Denis aux Nabis. En 1900, Maurice Denis peint l’Hommage à Cézanne : Redon y est représenté debout devant une toile de Cézanne, entouré de Pierre Bonnard, Edouard Vuillard, Raymond Roussel, Paul sérusier, André Mellerio et Ambroise Vollard. Il travaille avec Mallarmé. Une exposition Odilon Redon a lieu à la galerie Durand-Ruel en 1900. Il voyage en Italie exécute des peintures décoratives. En 1901 il participe au Salon de la Libre Esthétique à Bruxelles et au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts à Paris.

 Hommage à Cézanne / Consulter le document sur Musée-Orsay

 

Son ami d’enfance, le peintre Charles Lacoste, l’introduit en 1903 auprès de Gabriel Frizeau, mécène bordelais passionné d'art et de belles-lettres, encore un ami de Jammes. En 1904, une salle lui est entièrement consacrée au Salon d'Automne comportant soixante-deux œuvres. En 1908, Odilon voyage en Italie avec sa femme, son fils et Arthur Fontaine, un autre grand ami de Jammes. Il réalise ses premiers cartons de tapisserie pour la manufacture des Gobelins. Sa notoriété s’étend aux Etats-Unis.

Odilon Redon a publié de son vivant une intéressante autobiographie (À soi-même) où sont évoqués ses rapports avec le milieu artistique et les ambitions artistiques et spirituelles de son époque. Il est mort le 6 juillet 1916 à Paris. Une huile sur toile, La Vierge, est laissée inachevée sur le chevalet de l’artiste. Il est inhumé dans le petit cimetière de Bièvres.

Nuages fleuris, 1903 / The Art Institute of Chicago
Christ / Consulter le document sur Gallica
Portrait de Violette Heymann
Coquille, 1912

 

Jammes a très tôt découvert Odilon Redon, grâce à Armand Clavaud. En effet, les murs de la mansarde bordelaise occupée par le vieux professeur de botanique étaient ornés de gravures et pastels de l’artiste :

Ce fut dans l’appartement de la rue Rochambeau, tout miaulant des bêtes préférées du botaniste, que je vis des lithographies qui me révélèrent l’existence et le génie d’Odilon Redon. Il était juste que ces planches d’art voisinassent avec celles où notre ami commun fixait des végétaux. La corrélation est grande entre les unes et les autres.

Feuilles dans le Vent, « Quelques hommes », p. 198


Un ami commun, les flores à la fois enfantines et mystérieuses imaginées par le pastelliste et les origines martiniquaises d’Odilon Redon furent trois bonnes raisons de se rapprocher. En 1895, Jammes envoya sa plaquette Un Jour au peintre qui était aussi un fin lettré. Une correspondance s’ensuivit. En février 1900, Odilon Redon adressa à Jammes deux lithographies que Robert Mallet a encore vues dans le salon et le bureau du poète en 1945. La première rencontre physique eut lieu en mars 1900, chez Arthur Fontaine, à Paris, tandis que Jammes s’apprêtait à donner ses conférences en Belgique.

De nouvelles rencontres eurent lieu, en 1903, « sur la claire plage de Saint-Georges-de-Didonne » et en 1904. En 1907, Odilon Redon fait partie des amis accourus au mariage du poète avec Geneviève Goedorp, à Bucy-le-Long.

Dès 1898, Jammes avait dédié à son ami « Vieille maison » (O : Ms 219), un poème écrit en 1889. En 1913, il croque son portrait dans le chapitre intitulé « Quelques hommes » d’un volume de « Mélanges » : Feuilles dans le Vent (pp. 193-202) :

C’est ce dernier Redon qui m’apparut, par un gai jour, sur une plage de la Guyenne. Son panama, sa claire ombrelle, son complet de flanelle neigeuse et un certain mouvement du pied qui faisait se relever en babouche des chaussures blanches, témoignaient assez de son origine exotique : riche planteur, sage de l’Inde et charmeur de serpents. (p. 196)


Dans Les Caprices du Poète (pp. 61-63), le mémorialiste consacre deux nouvelles pages à cet artiste qui lui parut comme descendu de la lune. Il commence par reprendre à peu près le portrait exécuté en 1913 :

Quant à Odilon Redon, que m’avait jadis révélé Clavaud, je ne sache point que me soit jamais apparu un homme aussi composite : petit courtier bordelais à barbe grise et qui, à le bien considérer, se transformait tour à tour en charmeur de serpents, en personnage d’Edgar Poe, en lecteur de La Rochefoucauld.

(pp. 61-62)

 

Avant de parler, avec une grande justesse, de sa peinture :

 

Inimitable, ne ressemblant à rien ni à personne, s’évadant sans y chercher
de ses maîtres Dûrer et Rodolphe Bresdin, il est lui, Redon, un prince de l’Espace
et de l’Océan, un témoin des primitives explosions de la lumière, un collectionneur de flores
amphibies, un explorateur qui trouve des filons dans les ténèbres.

(Les Caprices du poète, p. 63)

Bibliographie : Francis Jammes / Robert Coustet / Marius-Ary Leblond : Odilon Redon Botaniste. Le Festin, Collection « L’Éveilleur Beaux-Arts », 2016.

 

Jacques Le Gall