Manuscrit autographe (6 ff. dûment numérotés de 1 à 6 ; dim : 23 x 17,5), signé, à l’encre. Il doit s’agir d’une copie tant l’écriture est appliquée et les ratures peu nombreuses. Quant à savoir à qui était destinée cette réponse, cela reste une énigme pour le moment. Tout comme la date de composition. Tout juste peut-on assurer que cette prose a été écrite après Jean de Noarrieu (O : Ms 220 et P : Ms 433) et avant la « conversion » de 1905 : donc, peut-être, en 1903 ou 1904, mais ce n’est qu’une hypothèse. L’Association Francis Jammes a acquis ce manuscrit chez Drouot le 9 avril 1997.

Ms156 (Orthez) / Consulter le document sur Pireneas

Apparemment inédit, en tout cas sans lieu de publication connu, ce texte ne manque pas d’intérêt. La verve satirique de Jammes s’y déploie dont sont victimes Armand Sylvestre et Leconte de Lisle nommément, mais aussi, plus généralement, presque tous les poètes de l’an 1888 : les symbolistes à l’exclusion de Mallarmé, les naturistes, les humanistes, les vociférateurs wagnériens et les littérateurs à thèse, les histrions et les tribuns, tous ceux aussi « dont la muse est une lutteuse foraine dont éclate le caleçon rose aux applaudissements des Jeux floraux ». Au contraire, l’auteur d’Un Jour (O : Ms 218) puis de Jean de Noarrieu y fait l’éloge de quelques-uns de ceux qui surent réagir à ce vacarme plus ou moins sophistiqué : Vielé-Griffin, Gide, Claudel. Le poète y reprend surtout quelques-unes des grandes idées qu’il développa dans son manifeste jammiste : célébration de la nature telle que l’ont chantée Théocrite ou Rousseau, condamnation de toute « littérature à effets » ; goût pour la simplicité et la modération, « dégoût de ce qui est tragique et compliqué » ; « lutte terrible pour la Beauté que gardent ces deux chiennes : la folie et la faim » et refus de tout embrigadement : « Stéphane Mallarmé nous avait appris que l’Esprit souffle où il veut et d’où il veut. Il nous avait enseigné la dignité, l’abnégation, l’entente nécessaire », l’entente à la condition que chacun reste lui-même : « Nous étions Griffiniste, Régnériste, Samainiste, Jammiste, chacun personnellement ».

Donc, pour ce qui est de moi, je m’assiérai sur une molle prairie, – puisqu’il est convenu que les prairies sont molles – je plongerai ma ligne dans les étincelles bleues de l’eau dormante, j’allumerai ma pipe, je regarderai le martin-pêcheur construire son nid, j’entendrai les bécasseaux des grèves. Et je décrirai cela sans éloquence. Je veux un art paisible, ennemi du scandale, où mon âme s’ouvre sans bruit comme la fleur de l’ipomée s’épanouit, pure et en larmes dans la discrétion du crépuscule. Je désire que cet art ne soit ni plus ni moins que l’éclat d’un coléoptère, que le rayon de lune attardé sur une branche de fuchsia, que le sourire d’une enfant dans la rue, que la plainte d’une malade. Je veux que la vie décrite soit d’une superbe simplicité : le repas devant le jardin, en famille, sa mélancolie solennelle, les mots qui tombent dans la lumière diffuse. […]