Ms 452 (Pau) : de 1888 à 1903

 

Manuscrit autographe (2 ff. ; dim : 31 x 20), daté du 27 août 1898, signé. Encre. Acquis de Loize, mars 1954.

Ms452/17 (Pau)

Le texte, prose et poème à la fois, a d’abord été recueilli par Robert Mallet dans une plaquette de luxe intitulée Deux Femmes, éditée par Daragnès en 1953, avec illustrations de la main de cet éditeur (45 exemplaires tous numérotés et signés) :

Deux femmes, par Francis Jammes
Deux femmes, par Francis Jammes
Deux femmes, par Francis Jammes
Deux femmes, par Francis Jammes

Ces deux morceaux faisaient partie d’un ensemble intitulé Quatre Femmes composé par Francis Jammes en 1898 et qui parut dans le numéro du 1er juillet 1898 de la Revue Blanche. Cet ensemble comprenait : I. « Mamore ». II. « Sylvie ». III. « Clitie ». IV. « Simone ». Deux seulement de ces textes (« Sylvie » et « Clitie ») ont été recueillis par Jammes à la fin du volume intitulé Le Roman du Lièvre, sous le titre « Deux Proses » (Mercure de France, 1926, pp. 303-307).

Jean Labbé a donc reconstitué le quatuor dans l’ouvrage intitulé Jeunes Filles édité par le Club du meilleur livre en 1954. Sous le titre Quatre Femmes, ces quatre pièces faisaient suite à l’histoire des trois Jeunes Filles que sont Clara d’Ellébeuse, Almaïde d’Étremont et Pomme d’Anis. En fin de volume, Jean Labbé avait fait ajouter :

  • Jonquille ou l’histoire d’une jeune fille folle, avec deux copies du manuscrit (pp. 293-323).
  • Deux lettres : à Arthur Fontaine (juin 1899 et 22 octobre 1899) (pp. 325-333).
  • Une lettre à Léon Moulin (5 décembre 1903) (pp. 334-336).
  • Le poème écrit en septembre 1898 « Prière pour mourir aimé des jeunes filles ».

Commentaire de Jean Labbé sur « Mamore », cette page ardente et sublime : « Il n’existe peut-être pas, dans toute la littérature française, de page plus brûlante consacrée à l’amour d’une maîtresse ». La voici :

MAMORE

Ô cher piment ! Grenade heureuse ! Mamore bien aimée ! Moi, faune, je chanterai le souvenir des jours où vers toi j’accourais, du lierre aux cornes.

Mes bras nerveux frissonnent comme les plumes du coq lorsque j’évoque ta croupe chaude et brune et qui sentait l’outre, lorsque je me souviens de toute toi où je grimpais comme au talus se hisse un bouc. Folie de feu ! Je broutais, comme d’une églantine, l’effeuillement de ta bouche cependant que de mes lèvres j’imitais le glouglou d’un tuyau feuillu de source.

J’enduirais de menthe ma gorge pour que s’y parfumât ta langue et lorsque vers ton baiser je me précipitais le silex étincelait sous mes sabots.

Je te salue, toi, sauvagesse dont la sève brûle comme le poivre le plus ardent, qui hantas les villages basques aux beaux noms tels Aïciritz, Armendaritz, Aramitz, Aydiüs, toi dont les yeux faisaient sourire les vieillards aux pommettes saillantes, aux regards bleus. Je te salue, toi qui arrêtais le cœur des bouviers lorsque tu leur parlais, dressée, au seuil blanc des maisons qui, pareilles à des pèlerines portent des rosaires de piment de feu.

Tu as été ma fantaisie délicieuse. J’ai mené paître mon âme où il m’a plu.

Je l’ai rêvée dans les lauriers d’Espagne, au fond des parcs, sous les lilas légers, les grenadiers sanglants, les seringas fastueux ; parmi les roses lourdes et les pivoines dressées qui veillent, négresses taciturnes, à l’emperlement des jardins, avec dans leurs cheveux de sang, des scarabées au ventre de feu vert. Je te salue, toi dont la gorge est pareille à deux écuelles de soleil et qui, nue, sautais sur un pied. Ma paume touchait à ta hanche glissante qui parfois épandait l’arôme du foin et du tabac, si violemment que l’on eût dit que cet arôme fumât sous nos baisers… Un jour, au-dessus de ta bouche éclatée comme une grenade d’Alméria, la corolle d’un papillon s’en vint se soûler et mourir.

Tu as été Mamore, mais tu as été Quitteria, Zoraïde, Armande et Dolorès. Tu as ouvert, au fond du parc, la verte petite porte ensablée qui s’ouvrait sur la Manche déserte et par où sortit, un torride après-midi, le long Don Quichotte. Nous avions peur. Nous redoutions ton frère et ton fiancé. N’arriveraient-ils, sur la tartane de Don Luis, de la Mauritanie inférieure ?... La duègne était à nous, obséquieuse et repoussante. Elle avait nom Fathma Benthali et mordait à l’écorce des grenades.

Du même texte, un manuscrit recopié, plus lisible et d’un très beau graphisme, est conservé à la Bibliothèque Jacques Doucet.

 

Jacques Le Gall