Ms 452 (Pau) : de 1903 à 1938

 

Manuscrit autographe (1 f. ; dim : 30 x 19,5). Non daté, non signé. Diverses notes au crayon de papier (elles sont d’ordre typographique) et un nom propre (M. Michaud) au crayon bleu en bas. Numérotation (1) en haut à droite, au crayon rouge. Acquis chez le libraire Nicaise, à Saint-Germain des Prés, le 16 janvier 1957.

Ms452/36 (Pau)

Il s’agit sans doute de la mise au propre adressée au Mercure de France où le texte paraîtra, le 16 février 1909, sous le titre « Pages détachées », suivi de quatre autres proses qui proviennent de chapitres de Ma Fille Bernadette. Un sous-titre entre parenthèses s’intercale entre « Pages détachées » et « Le sourire » : « (Pour une petite fille) ».

La « petite fille » pour qui écrit celui qui vient de découvrir l’immense joie de la paternité, c’est en effet Bernadette, née six mois plus tôt, le 19 août 1908. Le livre, dans son intégralité, paraîtra en 1910. De cette prose en forme d’action de grâces et de cantique vitaliste, Gide, la même année, écrira dans son Journal sans date que jamais « elle ne lui avait paru plus belle ». « Le sourire » est le sixième chapitre (pp. 39-41) de Ma Fille Bernadette. S’y organisent en schème plusieurs grands thèmes jammistes dont la soif de pureté originelle, la nostalgie du Paradis perdu, la joie de « la belle ligne », celle qui répare la brisure, restaure la participation au monde muet des choses, réunit de nouveau le bas et le haut, les hommes et l’univers.

Ma fille Bernadette, ill. par Maurice Denis / Cercle lyonnais du livre, 1931

Mais puisque j’ai parlé de ton sourire : qu’il est bon ! Venu des abîmes de la Joie il flotte en l’air comme un parfum et comme une couleur, puis se pose sur ton visage ainsi que l’arome et la blancheur du lis sur son calice. Il s’épanouit, rayonne sur ta face. Et ta bouche n’est plus qu’un fruit rose pâle qui s’allonge vers les pommettes qui s’arrondissent, tes yeux sont deux gouttes d’eau de mer joyeuses. Et le plus divin, c’est le silence de ce sourire qui reflète l’air des anges et l’innocente ignorance et l’onde paisible du ciel sur laquelle nage un petit oiseau.

Quel fut le premier sourire du monde ? Ce fut la belle ligne que formèrent les choses en se donnant la main : la mer donna la main à la plaine, la plaine à la colline, la colline à la montagne et la montagne au ciel. Ton œil luisant, ô ma fille, donne la main à ta petite bouche plate qui la donne aux boules de tes joues qui la donnent à ton nez-en-l’air. Tu es comme le sourire du monde. Veux-tu que nous jouions au monde ? Tu n’as qu’à sourire. C’est fait. C’est moi qui suis pris. Je clume.

Tu sauras plus tard que jadis le monde ne cessait pas de sourire et que sa face ne commença de s’attrister que lorsque la première fleur fana au Paradis terrestre. Tu n’as vu encore, ô Bernadettte ! aucune fleur se flétrir, et j’épie dans ton sourire la béatitude de nos premiers parents quand ils causaient avec Dieu devant les chevaux qui paissaient.

 

Jacques Le Gall