Manuscrit autographe (2 ff. ; dim : 31 x 20), signé, daté d’avril 1901. Encre et crayon de couleur bleu pour le titre ainsi que pour la numérotation des deux feuillets.
Poème paru dans la revue Sagittaire d’août 1901. Repris (sans la dernière strophe) dans Prends nos vieux souvenirs, Paris, Éditions de l’Ancre d’Or, en 1947 (pp. 62-63). Et dans OPC, en 2006 (p. 355).
La filiation Rimbaud-Jammes en étonnera peut-être certains. Elle est pourtant indiscutable, comme la filiation Baudelaire-Jammes. L’évocation, dans ce poème, de l’enfant de Charlestown puis du « Roi mendiant » trônant « aux bornes des chemins » en administrera la preuve, en alexandrins et en liberté. À quoi servirait-il de vouloir démontrer que Clavaud fut son Izambard, Lacoste son Delahaye, Crackanthorpe son Demeny, « Vieille marine » son « bateau ivre », Existences son Album zutique, que deux mystiques… ? À rien. Les ressemblances factuelles ? À ce compte-là, que de dissemblances, aussi. La filiation est organique et tient à quelque chose qui s’appelle : « poésie ».
Jammes fut, comme Rimbaud, un enfant sage et « un gamin insolent » que les images d’Épinal et les « vergers invisibles » faisaient rêver. Il fut très tôt ce mendiant d’amour que la révolte et les désillusions lançaient sur des chemins de fuite qu’il lui fallait inventer. Il fut comme Rimbaud, « Empereur d’un Empire terrible », menant à ce titre une vie de chien qu’il transposera dans un roman méconnu paru en 1933 : « Pipe, chien, que d’aucuns veulent qualifier de farce et que j’appelle le livre d’un philosophe qui serait ironiste, sage et poète… ». Et n’est-il pas, aujourd’hui, un autre « chantre fou » (que l’on encense ou insulte par habitude), un Marbre (funéraire ou commémoratif), un « mendiant mort dont les chiens mordent les pieds qui saignent » ?
À ARTHUR RIMBAUD
Un jour que les lilas avaient mal à ta tête,
un gamin insolent mit ses mains dans ses poches
et siffla, le nez haut, les jambes écartées,
puis il donna à sa toupie un coup de pied.
Puis voyant des papillons posés sur des roses
il dit aux papillons : « Venez vous amuser ? »
Comme ils ne venaient pas, il cracha sur leurs ailes.
J’évoque ainsi Arthur Rimbaud, enfant. Ou bien
l’œil abîmé d’azur et ne répondant point
à quelque gronderie, tenant entre ses poings,
déployée et froissée, l’image d’Épinal
où sous les cocotiers dansent les cannibales.
Et c’est dès lors, enfant mutin, longtemps bercé
dans les hamacs de rosée d’argent bleu dressés
au fond mystérieux des vergers invisibles,
c’est dès lors, qu’Empereur d’un Empire terrible
aux cothurnes de cuir par les pluies éculés
nous te vîmes trôner aux bornes des chemins.
Nous te vîmes trôner aux bornes des chemins,
ô Roi mendiant chassé comme nous des Royaumes,
Roi mendiant poursuivi, comme nous, par les chiens,
que tu chassais avec ton sceptre en bois de corne,
Roi dont le glaive était un vieux couteau de corne,
Roi mendiant qui n’avait pour suprême couronne
que le vol des frelons sur le bord des fossés.
Viens avec moi. Entrons dans quelque verte auberge
d’où l’on voit les bateaux osciller sur la berge,
Assieds-toi. Écoutons gémir la pompe à bière,
mettons nos coudes sur la table et regardons,
les yeux dans le tabac de nos pipes de terre,
la gouge aux seins pesants qui porte des torchons.
… Que ce Marbre reconnaissant, ô toi qui sous
ta tête, pour oreiller avais la pierre,
que ce Marbre reconnaissant le chantre fou
qui s’endormit sur lui dans le désert des rêves,
que ce marbre du moins se lève et qu’il te plaigne
mendiant mort dont les chiens mordent les pieds qui saignent.
Bibliographie : Francis Jammes : Pipe, chien, collection « L’Éveilleur », Le Festin, Bordeaux, 2016. Préface de Jacques Le Gall : « Portrait de l’artiste en chien de cirque », pp. 7-21.
Jacques Le Gall