Ms 220 (Orthez)

Jean de Noarrieu (1901)

Manuscrit autographe (11 ff. ; dim : 22,5 x 17,5), signé, sans date. Cahier d’écolier à couverture grenat. Encre et crayon.

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L’auteur a apporté quelques corrections (très peu) au texte qui paraît être une mise au propre. À l’épigraphe et une exception près (strophe 54), il s’agit du texte définitif.

A l’inconnue vieille et estropiée qui fit s’agenouiller
et prier pour moi son chien devant ma porte,
je dédie ce livre

Outre une page de titre et cette épigraphe retirée de la version définitive, le manuscrit comprend, 45 strophes : 24 appartiennent au chant II, 6 au chant III et 15 au quatrième et dernier chant.

Comme le Ms 218 (Un Jour), ce manuscrit provient de la collection du peintre-écrivain Bernard Roy, qui illustra Pensée des jardins en 1925 et correspondit avec Jammes entre 1919 et 1937. Acquisition par l’Association Francis Jammes en 1989.

Commencé à Orthez, terminé à Gavarnie, Jean de Noarrieu a d’abord paru dans la revue L’Ermitage, en six livraisons, de juin à novembre 1901. Puis dans Triomphe de la vie, au Mercure de France en 1902. Dans ce volume, Jean de Noarrieu précède Existences, pourtant composé un an avant (été 1901).

L’histoire racontée dans ce long poème est toute simple. Jean de Noarrieu mène l’existence la plus paisible qui soit. Il dirige les travaux de la ferme, chasse, pêche, va au marché d’Orthez, couche avec Lucie, la jeune et jolie paysanne qui tient son ménage. Mais le cœur de Lucie appartient à Martin, un berger. Quand Jean de Noarrieu s’en aperçoit, il souffre et puis accepte. Lui-même fiancera les deux amoureux et n’aura plus qu’à chercher celle (ce sera Jeanne) qui succédera à Lucie. Cette histoire épouse tout naturellement le cycle des saisons. Les travaux et les jours s’écoulent dans l’harmonie. La plaine et la montagne toute proche communiquent. Hommes et bêtes vivent ensemble dans une nature bienfaisante.

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La forme aussi est simple. Quatre Chants puisqu’il y a quatre saisons, des strophes de six vers (à quelques exception près) le plus souvent assonancés pour équilibrer le rythme, des vers de dix pieds, voire moins encore parce que l’alexandrin eût manqué de légèreté.

Église de Noarrieu dans son état primitif (avant 1924) / Lacoste, Charles (1870-1959) / Consulter le document sur Pireneas
Église de Noarrieu, reproduction d'une peinture de Ch. Lacoste
 
Simple l’histoire, simple la forme, mais cela n’enlève rien aux très pures beautés d’un poème qui, dix ans plus tard, sera réécrit – et christianisé – avec Les Géorgiques chrétiennes. Rappelons que, à l’est d’Orthez, Noarrieu fut l’un des sages villages que Francis Jammes aima chanter. C’est là qu’il commença d’écrire Clara d’Ellébeuse le 10 mars 1899, là qu’il fait mourir sa tendre héroïne le 10 mars 1848. Là…

Dans Les Caprices du Poète (pp. 118-119), le mémorialiste a renié Existences écrit un an avant Jean de Noarrieu et qui constituera le second volet du Triomphe de la vie :

Le vent de cette année-là, 1900, dut être un peu fou. Il débusqua le fauve qui sommeille en moi. Je commis ce poème burlesque et satirique, auquel je donnai le titre d’Existences, et qui est « un acte de démence ».

Au contraire, un peu plus loin dans Les Caprices du Poète (p. 132), le poète assume et même revendique la paternité de Jean de Noarrieu :

Je ne me défends pas du paganisme de cette idylle. Il est patent. Mais je remarque combien la composition et le rythme en sont équilibrés alors que je me trouvais, en les réglant, dans un moral des plus instables.

De fait, le poète – c’est un artisan inspiré – a parfaitement honoré le cahier des charges qu’il expose et s’impose au commencement de son harmonieuse idylle épicurienne :

Je veux ici, puisqu’il faut commencer,
ne point poser à faux dans l’encrier
ma plume. Et, comme un adroit ouvrier
tient sa truelle alourdie de mortier,
je veux, d’un coup, à chaque fois porter
du bon ouvrage au mur de la chaumière.

Il existe une belle édition de luxe (tirage limité à 600 exemplaires) de Jean de Noarrieu : avec avant-propos de Yves-Gérard Le Dandec, 20 gravures à l’eau-forte de Marianne Clouzot, Paris, Lubineau, s. d. (1947), in-12, reliure et étui par A. Lavaux.

Gravures à l’eau-forte de Marianne Clouzot, Paris, Lubineau

Les premières épreuves imprimées de Triomphe de la vie (donc de Jean de Noarrieu et de Existences) sont conservées à Pau : Ms 433.

 

Jacques Le Gall