Manuscrit autographe (3 ff. A, B, C ; dim : 31 x 20,5 et 2 ff. ; dim : 20,5 x 15,5), non signé, non daté. Encre, crayon et crayon de couleur bleu. Titre : « Eugène Carrière », avec une dédicace à Charles Morice (1861-1919), poète et critique responsable de la chronique d’« Art moderne » au Mercure de France. Les 3 feuillets A, B, C de ce portrait sont accompagnés d’un premier jet partiel avec variantes au verso duquel l’auteur a écrit l’adresse du compositeur Paul Ladmiraut. Lieu de publication : Feuilles dans le vent, « Quelques hommes », au Mercure de France, 1913 (pp. 175-181).
Sans doute Francis Jammes avait-il lu le livre que Franz Melchers (1865-1944), peintre de nationalité hollandaise, avait écrit sur Eugène Carrière (1848-1906). D’autant que Jean Dolent en avait longuement rendu compte dans le Mercure de France (18ème année, tome 65, n° 230, 15 janvier 1907, pp. 375-378). Mais il a choisi de privilégier des souvenirs personnels et pittoresques pour faire le portrait de cet ami rencontré à Pau en décembre 1895, puis, à plusieurs reprises, chez Charles de Bordeu, à Abos :
Maintenant Carrière est assis à table. Sa tête aux forts méplats, rejetée en arrière, ressemble à une motte d’argile où tremblent deux gouttes d’eau malicieuses et sur laquelle, comme une moustache, se serait posé un épi de blé. Le nez a reçu un coup de pouce de bas en haut. La bouche est fine. Tantôt il verse à boire à ses voisins, le bras arrondi, tenant la bouteille par le milieu de la panse : on dirait d’un soldat qui offre une tournée aux camarades. Et tantôt il pique dans son assiette les morceaux les meilleurs pour les glisser dans les assiettes de ses enfants. Tout cela est taillé dans le bloc d’ombre de la salle à manger d’Abos, ombre creusée par les pensées et la poésie et où se cache un pur écrivain qui n’a jamais soupçonné l’intrigue ni l’habileté. L’argile lumineuse des fronts bosselés s’incline vers la blancheur des faïences. […]