Deux manuscrit autographes sont associés sous la même cote. Ce sont des fragments de L’Almanach du Poète Rustique.
Le premier (1 f. ; dim : 19,5 x 30,5), est non signé et non daté, mais datable de 1919. Encre. Quelques ratures et corrections, mais ce n’est pas encore tout à fait la version définitive. Titre : « Fauvette (Mai) ». Ce manuscrit provient d’un don Joassin, fait en mai 1995. Le texte, légèrement modifié, en a paru dans Le Poète Rustique au Mercure de France, en janvier 1920, (pp. 201-202). C’est la version du manuscrit qui est transcrite ci-dessous.
Grise et noire, frêle, et chantant à tue-tête, et si innocente qu’elle vint nicher dans un seringat inodore, à portée de la main de mes petits que je menaçai des gendarmes au cas où ils la troubleraient. La consigne fut observée. Durant des jours j’observais les yeux de la bestiole, tout étonnée de son audace d’être venue à notre portée. Quand nous soupions, le soir, au jardin, elle était presque à table avec nous. Ses yeux, grains de mûre vivants, semblaient me dire au début : Tu vas me tuer. Et ensuite : Épargne-moi. Et à la fin : Je sais que tu ne me feras point mal.
Elle orientait d’habitude son bec vers l’est.
Un faux mouvement imprimé à la branche a chassé les petits un peu avant qu’il eût fallu. Le chat guettait dans l’herbe, averti par les cris inquiets du père et de la mère. Cependant j’ai confiance.
Le second (1 f. ; dim : 30x 19,5), est également non signé et non daté [1919]. Encre. Titre : « Chrysanthèmes ». Deux versions : la première, en haut, de premier jet, très raturée ; la seconde, en bas, est très proche de ce que sera la version imprimée. Même provenance que le manuscrit précédent. Le texte a paru à la même date que « Fauvette », au même endroit (pp. 276-277).
Chrysanthèmes. – Dorés ou blancs ou fauves, ils sont d’autant plus beaux que les lanières de leurs capitules présentent un aspect désordonné. Ces lanières, tordues dans tous les sens comme des flammes sont bien le symbole de la douleur. Échevelés, ils répandent sur les tombes des larmes de brouillard, et l’on ne sait rien dire de leur âcre parfum sinon qu’il est funèbre. Tandis que d’autres fleurs peuvent rendre tour à tour l’expression de la joie et de la tristesse – être offertes aussi bien à l’occasion d’un deuil que pour des fiançailles – le chrysanthème ne s’épanouit que pour le cimetière.
Francis Jammes a écrit Le Poète Rustique en 1918-1919 et dédié ce livre à l’abbé Henri Bremond, l’académicien auteur de la monumentale Histoire du sentiment religieux dans la littérature française, qui termina sa vie à Arthez d’Asson, au pied des Pyrénées. Rustique est ici un nom propre. Il s’agit d’un récit très autobiographique, comme si souvent chez Francis Jammes.
Ce récit est suivi d’un Almanach du Poète Rustique, dont la structure ne varie pratiquement pas d’un mois à l’autre. Se succèdent les rubriques suivantes : « Zodiaque », « Horoscope » (en vers et en italique : les douze Horoscopes sont donnés dans OPC, pp. 1261-1263), « Potager », « Jardin d’agrément », « Champs », « Flore sauvage », « Faune », « Fêtes », « Paysage », « Chronique » du mois. Le premier manuscrit s’inscrit ainsi dans la rubrique « Faune » du mois de mai. Le second dans la rubrique « Jardin d’agrément » du mois de novembre de L’Almanach du Poète Rustique.
Le Poète Rustique et L’Almanach du Poète Rustique ont été illustrés par Madeleine Luka. Ces illustrations ont été gravées sur bois par Théo Schmied. Publication à Paris, Librairie Auguste Blaizot, 1943.
Jacques Le Gall