Ms 278 (Pau)

[Tristesses] (26 avril 1902)

Manuscrit autographe (1 f.; dim : 25 x 20 cm), non daté, signé. Ces huit vers sans titre ne sont sans doute pas un premier jet. Ils font partie de la sixième des vingt-quatre pièces imprimées à Orthez, en 1905, chez E. Faget, sous forme d’une plaquette in-octavo, hors commerce, sans autre indication que le nom de l’auteur. Ces vingt-quatre poèmes paraîtront ensuite, sous le titre de Tristesses, dans Clairières dans le Ciel, Mercure de France, 1906, p. 28. Ce fragment figure dans OPC, p. 517.

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De Tristesses, au seuil de Clairières dans le Ciel, Jammes a lui-même précisé le contenu dans Les Caprices du Poète (pp. 148-149) :

Le printemps de 1902 marqua douloureusement dans ma vie. Je n’ai pas à m’en expliquer. Je l’ai fait suffisamment dans une suite d’élégies qui parurent sous le nom de Tristesses. Ce fut un drame intérieur en trois actes et en trois ans. Il commença une journée de mars ou d’avril qui roulait du ciel bleu entre les galets d’un gave ; se déroula durant trois automnes successifs ; se termina en un jour d’été, brusquement. Ainsi un coup de foudre isolé. Mais de cet orage concentré, il n’est sorti que du bien. Et je loue Dieu de m’avoir, par ce choc, averti, dirigé, sauvé.

Dans son œuvre, pour d’évidentes et respectables raisons, l’écrivain n’en a pas dit davantage. Mais la correspondance avec André Gide (lettres du 1er juillet 1900, du 15 décembre 1904 et de juillet 1905) ainsi que la correspondance avec Arthur Fontaine ont livré la clé de ce douloureux épisode sentimental. L’identité de celle que le poète dissimule sous un « elle » pronominal (« Elle est la jeune fille à l’âme toute claire ») ne fait plus mystère.

L’héroïne « gravement gaie » de Tristesses, s’appelait Antoinette Meunier. Elle était la fille d’un médecin palois. Si ce dernier a laissé son nom à une rue de la provinciale capitale béarnaise, il ne voulut pas laisser sa fille prendre le nom de Jammes, ce jeune poète dont l’avenir ne donnait pas toutes les garanties. Les fiançailles furent rompues et « Nette » épousa un officier de marine qui servait sur le canal de Suez : le commandant Béret.

L’exposition Francis Jammes qui se tint à Pau en 1975-1976 présentait une photographie d’Antoinette Meunier-Béret à Ismaïlia tenant sur les genoux son premier-né, qui deviendra amiral. On y peut deviner le beau front lisse, le teint couleur d’ivoire et d’abricot, les « yeux de lavande » de la grande jeune fille immortalisée dans Tristesses.

Antoinette Meunier (aimée de Francis Jammes en 1902) à Ismaïlia en companie de son époux Victor Béret, PHA53 / Consulter le document sur Pireneas
Antoinette Meunier (aimée de Francis Jammes en 1902) à Ismaïlia en compagnie de son époux Victor Béret et de son fils, PHA53 / Consulter le document sur Pireneas

Il y a mieux encore, ainsi que l’a montré Jean Labbé : Jonquille (P : Ms 452/28) sera une « autre réincarnation en prose d’Antoinette Meunier ». C’est même, probablement, parce que l’écrivain identifiait trop son personnage à son modèle qu’il laissa son roman éponyme inachevé : « il ne sera que l’ébauche de Pomme d’Anis ».

Du Ms 278, on peut rapprocher l’exemplaire dédié à Léopold Bauby de Tristesses qui parut sans titre et hors-commerce à Orthez, en 1905. Ainsi que le poème « Élégie » du Ms 268.

 

Jacques Le Gall