Orthez conserve – et il est complet – un manuscrit autographe de travail d’Alouette (O : Ms 58), ainsi qu’un dossier préparatoire à la publication de ce poème (non numérisé). Pau conserve aussi deux pièces concernant ce poème tardif : le Ms 641, acquis en avril 2014 (un très beau manuscrit) et le Ms 446.
Ms 641
Manuscrit autographe, complet, signé, de premier jet et de travail, se présentant sous la forme de deux cahiers d’écolier petit in-4 (dim : 22,5 x 17) à papier ligné de 86 feuillets, soit 60 pages plus un contreplat, et 30 pages (le reste vierge). Couverture moleskine noire, sous chemise demi-maroquin rouge, avec étui. Encre noire au recto des feuillets. Souvent, sous l’encre noire, se devine une première esquisse au crayon, parfois à peine effacée. Quelques corrections ou ratures au crayon bleu. Ce manuscrit paraît être antérieur au Ms 58 conservé à Orthez.
Le premier contreplat porte cette note liminaire sur l’origine d’Alouette :
Une fille fut condamnée au bûcher pour avoir emporté le Saint-Sacrement dans la forêt, sous un rosier, afin qu’il ne restât plus prisonnier au Tabernacle. Mais un ange apparut qui dit à la fille « Monte au Ciel, âme innocente. »
Chronique albigeoise de 1500 ( ?).
Ce simple renseignement, ce fragment recueilli par Eugénie de Guérin d’une légende aujourd’hui perdue, m’a inspiré ce poème d’un art primitif que je ne cesse de poursuivre depuis 1888.
Une autre version plus courte est esquissée sur la page de titre. Dans l’édition, on ne retrouve pas cette note, mais la brève indication qu’une légende notée par Eugénie de Guérin lui a inspiré Alouette. Au-dessous, Jammes a écrit, au crayon de papier, ses nom et adresse : « Francis Jammes Hasparren B. Pyr. ». Cette indication, encore au crayon de papier, se retrouve sous le titre Alouette en tête du second cahier.
Le poème se compose de six Chants : le cahier 1 contient les quatre premiers ; les deux derniers figurent dans le cahier 2. En tête du poème, et donc du cahier 1, le titre primitif : Le Saint-Sacrement dans la forêt a été biffé et remplacé par Alouette. En marge de la première strophe, Jammes a noté au crayon : « Cette strophe et la suivante ont été écrites le 31 décembre 1934 entre 5h et 7h du matin ». D’autres datations de ce type se trouvent en marge de I, 3 à 5 et I, 12 et 13 ; II, 3 à 12 ; III, 2 à 6 ; 11 à 14 et V, 11.
On relève de nombreuses ratures et corrections, surtout dans le cahier 1, et des variantes par rapport au texte imprimé, lequel texte a d’abord été publié dans la Nouvelle Revue Française des 1er mars, 1er avril et 1er mai 1935, avant d’être recueilli à la fin juin dans De tout temps à jamais. Dans le cahier 1, deux strophes font l’objet de mise au net en regard des versions très corrigées (III, VIII et IV, VII). Un plan (au crayon) figure en face de III, VII : il semble devoir annoncer huit chants.
Le cahier 2, peu raturé, commence par des notations au crayon en regard du Chant V, 1 et se termine par une dernière datation – « Achevé le 13 février 1935 » – suivie de la signature de l’auteur. Le second contreplat du cahier 2 porte une mention (au crayon) sur « L’art de Dieu », une expression qui serait venue à Jammes « tout naturellement au cœur et à l’esprit ».
Ms 446
Épreuves dactylographiées avec corrections autographes et signature de ce long poème auquel Francis Jammes tenait. Sauf pour le Chant premier, on pourra comparer deux jeux d’épreuves. Ils sont plus ou moins corrigés par l’auteur.
Jeu d'épreuves 1 des Chants II et III
Jeu d'épreuves 2 des Chants II et III
Jeu d'épreuves 1 des Chants IV, V et VI
Jeu d'épreuves 2 des Chants IV, V et VI
Le vieil écrivain s’est jeté dans l’écriture d'Alouette le 26 décembre 1934 et en a achevé l'écriture en février 1935. Le déclic inaugural vient d’une relecture du Journal d’Eugénie de Guérin qui rapporte cette légende albigeoise qui remonte peut-être au milieu du XVIème siècle.
C’est l’histoire d’une jeune bergère aux « yeux de violette » et au cœur pur. Alouette est orpheline depuis que ses parents ont été foudroyés alors qu’elle avait à peine cinq ans. L’ombreux saint Joseph est descendu du ciel pour soigner et sauver l’enfant au nom d’oiseau et de matin verticaux. À quinze ans, Alouette ne quitte la hutte où elle vit que pour faire paître son troupeau et se rendre à la messe du village voisin. Appelée par le ciel, elle refuse l’amour terrestre et les compliments d’Antoine, un pâtre. Saint Joseph, pourtant, ne vient plus la voir, ce qui la désole. Se désespérant aussi de voir trop souvent l’église vide et Jésus comme abandonné dans son tabernacle, Alouette dérobe l’Hostie et l’installe dans le fruste autel forestier qu’elle a confectionné. Dénoncée par le jeune pâtre jaloux, elle est arrêté, jugée et condamnée au bûcher comme le fut Jeanne d’Arc.
Mais, comme on peut le lire dans À Lourdes (Feuilles dans le vent, Paris, Mercure de France, p. 224), Francis Jammes croyait au miracle :
Le miracle nous entoure, s’opère continuellement.
Et c’est, aussi bien, l’épi de blé qui pousse.
Le finale d’Alouette est donc miraculeux. « Un vieux routier » descendu du ciel écarte curieux et bourreaux pour reconduire l’enfant vers la forêt où chantent les oiseaux. Saint Joseph est en effet, aux côtés d’Alouette, l’autre grande figure du poème. Jammes a souvent rendu hommage à ce saint silencieux et protecteur. Il lui a consacré un livre entier paru en 1921 : Le Livre de Saint Joseph.
Alouette se compose de six Chants de quatorze strophes chacun. Chaque strophe compte douze décasyllabes, en général coupés 4/6 et strictement assonancés (même son vocalique à la fin de tous les vers d’une même strophe). Cette structure métrique et rythmique rapproche le poème des chansons du Moyen-Âge : le personnage d’Alouette est un mixte de Bernadette Soubirous, la bergère bigourdane, et de Jeanne d’Arc, la bergère lorraine.
Le poème a d’abord paru dans la Nouvelle Revue française des 1er mars, 1er avril et 1er mai 1935. Il a ensuite été inséré dans De tout temps à jamais, publié aux Éditions Gallimard en 1935. La préface de ce livre contient une attaque que l’on fera payer cher à son auteur qui s’en prend à « une critique indigne d’écrire, la plupart du temps corrompue par l’argent de la publicité, la politique, l’opportunisme, la soif des honneurs ». Mais elle se termine aussi, ou presque, par une confidence : Alouette, c’était, pour Jammes, un « sommet » qu’il avait atteint en sa soixante-septième année. Le poème a été repris dans l’Œuvre poétique complète de 2006 (OPC, pp. 1111-1141).
Jacques Le Gall