Francis Jammes semble avoir commencé à penser à ce qui va devenir Ma France poétique dans le courant de l’année 1924. Dans une lettre du 17 décembre de cette année à son ami bordelais Gabriel Frizeau, il écrit qu’il pense à « une grande œuvre comme qui dirait une France poétique » (Correspondance 1897-1937, textes établis et annotés par Victor Martin-Schmets, Atlantica, 1997, p. 106). Le 23 mars 1925, il prévient Arthur Fontaine, un autre ami très cher et dévoué : « Je travaille. Je fais une grande œuvre – une série de poèmes qui constitueront Ma France poétique : des villes, des fleuves, des ruisseaux, des gens, etc… ». En juin, il a déjà composé 105 poèmes. Le manuscrit sera probablement terminé vers la fin du mois de juillet 1925.
Francis Jammes considérait que Ma France poétique pouvait être un événement comparable aux Contemplations de Victor Hugo. De fait, même si tous les poèmes ne sont pas d’égale valeur, c’est un grand recueil, un de ceux qui prouve que la « conversion » n’a pas tari la veine poétique de l’écrivain.
1. « Foyer détruit » (OPC, pp. 931-932)
Manuscrit autographe (2 ff. ; dim : 27 x 21), daté (25 et 26 juin 1925) et signé. Encre sur papier bleu. Acquis chez Charavaz, le 19 mai 1954. Le « foyer détruit » est un château en ruines nommé « Belzuncia ». Tout à côté se trouvait la métairie dont Jammes était devenu le propriétaire à la mort de madame Gille. Dès son arrivée à Hasparren, en 1921, le Patriarche aima se rendre à "Belzuncia" en compagnie d’amis ou pour pique-niquer avec son « troupeau » d’enfants. Loin de spéculer sur le passé du château ou de s’agacer de la turbulence de sa progéniture, le poète tente ici de saisir « un moment de ce monde qui passe » : nous sommes en juin, au temps des cerises, un petit berger siffle quelque part, une vieille dame « éteint sa romantique ombrelle », les trois montagnes environnantes (le Baïgoura, le Garalda, l’Abbaratia) sont métamorphosées en bouquets de fleurs violettes, la nuit tombe illunée de rose et se fond à la terre, « Emmanuelle cherche une montre perdue ». Là encore, nombreuses variantes par rapport au texte imprimé.
2. « Jardin Paysan » (OPC, p. 959)
Manuscrit autographe (1 f. ; dim : 21 x 19), daté (9 avril 1925) et signé. Encre. Acquis chez Saffroy en septembre 1951. Une variante. En haut à droite, entouré, le toponyme qui servira d’épigraphe : Mendionde. C’est un endroit bucolique, un jardin qui n’a rien de royal ou de sophistiqué, un « lieu paysan » comme les affectionnait Jammes : « roucoulant d’eaux sauvages », ébouriffé de peupliers. « À l’ombre d’un mont bleu » qu’obombre la procession des nuages, il y a un potager où le poète a vu une jeune fille inconnue. Effleurant deux thèmes traditionnels (la fuite irréparable du temps et la vanité des triomphes humains), il ronsardise un peu :
Quand tu recenseras tes jours à l’agonie
Tu te ressouviendras de ces heures unies
Et que l’arc de triomphe où jamais tu passas
Fut de roses qu’on mêle avec des chasselas.
3. Fragment (raturé) de « La cabane landaise » (OPC, pp. 963-964)
Manuscrit autographe (1 f. ; dim : 10 x 17), non daté et non signé. Encre. Acquis de Jean Loize qui possédait le manuscrit entier de Ma France poétique. Ce fragment ne compte que cinq vers :
À ce roucoulement s’harmonise le jet
D’une onde qui gazouille et qui sort d’une tonne
Pour étancher la soif de ces oiseaux d’automne.
Il faut en attirer, sur le sol plein de blé,
Le plus qu’il est possible et sans qu’ils soient troublés.
Le Ms 271, également conservé à Pau, donne le poème entier, daté (4-5 juin 1925), non signé. Le toponyme (Hourticq) ne peut pas être plus landais.
4. « Le Lac de Montagne » (OPC, p. 979)
Manuscrit autographe (1 f. ; dim : 27 x 21), non daté, non signé. Encre sur papier bleu. Acquis du libraire Coulet, quai des Grands Augustins, à Paris. Le titre du premier poème ne figure pas encore sur le manuscrit, très raturé. Dans sa version définitive, le poème ne comptera que six vers :
La teinte des pays coule dans leurs rivières,
Et dort dans leurs étangs ; mais lorsque la lumière,
Autour de soi n’ayant montagnes ni plateaux,
Pure, tombe d’aplomb, sans une ombre, sur l’eau,
Elle forme le lac, trou vide qui traverse
La terre, dirait-on, jusques au ciel inverse.
5. « Promenades en mer » (ou « en barque ») (OPC, p. 979)
Manuscrit autographe (1 f. ; dim : 27 x 21), non daté mais signé. Encre. Papier bleu. Acquis du libraire Coulet. Le manuscrit n’est pas complet, les variantes sont nombreuses et intéressantes, mais le poème reste assez médiocre. Le toponyme (Saint-Jean-de-Luz) sera ajouté ultérieurement. Dans sa version définitive, le poème comptera huit vers :
L’océan se fâchait, et la coque de noix
Où nous étions souvent nous plongeait dans l’effroi.
Dans ce balancement on croit qu’on a la tête
En bas, les pieds en haut, et puis qu’on vous projette
Au contraire, en avant, tant vous êtes debout.
C’est la sensation, et presque à chaque coup
De rames, que la barque est plus basse que l’onde,
Encore que jamais celle-ci ne l’inonde.
Un manuscrit de onze autres poèmes de Ma France poétique est conservé à Orthez (Ms38 et 39) : « Abos » (Ms 38a) ; « La Frontière » (Ms 38b) ; « Ciel d’une nuit d’été à seize ans » (Ms 38c) ; « Ciel sportif » (Ms 38d) ; « Le vieux paysan » (Ms 39a) ; « Le Père » (Ms 39b) ; « La Nive » (Ms 39c) ; « La mer agitée » (Ms 39d) ; « La promenade sur l’étang » (Ms 39e) ; « La Vierge de la Cathédrale Saint-André » (Ms 39f) ; « La Vierge de Lahourcade » (Ms 39g).
Un manuscrit de deux poèmes de Ma France poétique est conservé à Pau : "Feu de la Saint-Jean" (Ms585) et "Un coin de la Joyeuse" (Ms644)
Les épreuves corrigées et le bon à tirer après corrections (3 novembre 1925) de Ma France poétique sont conservés à Pau sous la cote Ms 528 (fonds Jean Labbé). Le livre paraîtra au Mercure de France au début de l’année 1926. La critique lui réservera un très bon accueil. Le poète récemment recalé par l’Académie française (pour la deuxième fois) en éprouva une vive satisfaction. Elle transparaît par exemple dans une lettre du 20 mars à Gabriel Frizeau : « Ma France poétique soulève un monde en ma faveur, après la longue injustice que tu as connue » (Correspondance, p. 110)
Jacques Le Gall