Charles, Amaury de Cazanove est le fils aîné de Charles, Nicolas de Bigault de Cazanove et de Clarisse Poultier. Né le 5 janvier 1845 à Avize (Marne), il est issu d’une lignée de gentilshommes verriers de l’Argonne. De Marthe d’Ariste, née à Lescar (Basses-Pyrénées), il a eu cinq enfants. Il a passé son âge mûr et sa vieillesse en Béarn, au château de Salles, à Sallespisse, entre Orthez et Sault-de-Navailles (Basses-Pyrénées) :
« J’écris pour mon plaisir,
au fond d’un vieux château… »
Grand lecteur de Hugo, Musset, Lamartine, La Fontaine, Châteaubriand, Coppée…, ce châtelain de race, ardent cavalier et hardi coureur de bois, a écrit et publié trois recueils poétiques : Les Chevaleresques en 1879, La Mandragore en 1886 et Maylis en 1906.
«Qu’enfin je soulève la lyre ! Je veux dans l’idéal me plonger à plein cœur.»
«Passions qui brûliez dans l’âme des héros, N’inspirez-vous donc plus que les vers du poète ?»
«Qu’importe gloire absente, illusions trompées ? − Vieilli, du même ardent amour qu’à dix-huit ans, J’aime toujours la Croix, et la Lyre et l’Epée !»
Ces recueils, primés jadis, aujourd’hui oubliés, sont tantôt élégiaques tantôt caustiques, et, quoique le sonnet domine, ne dédaignent pas de revivifier des formes poétiques anciennes et savantes comme la sextine. Dans deux sonnets de Maylis, il cite Francis Jammes, son cadet, certes, mais un poète dont il pressentit le génie et qu’il recevait dans son château de Salles, en compagnie de quelques amis choisis, dont Adrien Planté (le maire très lettré du Orthez d’alors), Charles de Bordeu (un autre gentilhomme poète) Paul Lafond (graveur, critique et conservateur du musée de Pau)… Dès 1891, sept ans avant que ne soit publié De l’Angélus de l’Aube à l’Angélus du Soir, il convainquit Jammes de publier son premier recueil : Six sonnets.
Bien avant de la chanter dans Sources, en 1897, Jammes avait évoqué la « Source Cazanove » dans De l’Angélus de l’Aube à l’Angélus du Soir (OPC, p. 122). Toute source, chez Jammes, abreuve la fable en même temps qu’elle nourrit la rivière. Elle commence une route liquide au bout d’une route brûlante. Le « piéton » va y quérir un ciel renversé qui chante. Mais la mélancolie d’une vie antérieure peut, comme ici, prendre le pas sur le mystère de l’avant-vie :
IL EST PRES DE SALLES…
À Amaury de Cazanove
Il est près de Salles, à droite, une source claire.
Des fougères noires, de la mousse et du lierre
se mirent doucement à sa limpidité.
La grand’route la longe et la chaleur d’été
fait sur la terre blanche vibration.
Celui qui suit la route (on disait un piéton)
sent la terre brûler aux cordes de ses sandales.
Autour de lui bourdonne la chaleur pâle ;
mais, quand il approche de la petite source,
il se sent inondé par une fraîcheur douce.
Bien souvent j’ai suivi jusqu’à votre hameau
cette route blanche qui va jusqu’à Hagetmau.
Mes yeux qui se fixaient à l’horizon des côtes
y voyaient, agrandies, des silhouettes d’hommes.
Mais c’est en vain que mon regard triste a cherché
la diligence qui, avant que je fusse né,
ramena au pays, le long de la source vive,
mon grand-père qui revenait des Antilles.
Sans qu'il soit nommé, Amaury de Cazanove est parfaitement identifiable dans une page du Poète Rustique (Mercure de France, 1920). Le personnage éponyme de ce livre très autobiographique "se revoit" en route vers le manoir de Sallespisse où il va être reçu par un "châtelain rimeur" curieusement accoutré mais exemplaire de générosité et de "simplicité". La description du marcheur adolescent illustre une photo conservée de Francis Jammes. L'évocation du souvenir de jeunesse par celui qui est désormais un père chargé d'enfants s'achève sur une mélancolique déploration : le présent ne se peut saisir ni retenir, sinon dans la mémoire, au prix d'une véritable "souffrance" :
Il se revoit, adolescent, tenant sur l'épaule un bâton où étaient suspendues des bruyères vagabondes et quelques livres. Vers midi, il frappait au manoir. Le châtelain rimeur venait lui-même ouvrir, vêtu, comme le saint Louis d'un vitrail, d'une sorte de manteau à pèlerine denticulée, chaussé de bottes effilées, qui dardaient d'interminables éperons. Il était, malgré cette mise un peu étrange, la simplicité même.Que c'est loin, mon Dieu !, tout cela ! se dit le poète Rustique, en regardant sa marmaille cueillir des herbes qu'elle lui montre pour qu'il les détermine. Combien ce souvenir de jeunesse est poignant, poignant jusqu'à la souffrance ! Ah ! ces heures d'or, d'azur et de rouges fleurs, de lecture et de fumerie, pourquoi faut-il ne les saisir si bien que lorsqu'elles sont passées ?
(Le Poète Rustique, p. 112)
Dans le deuxième volet de ses Mémoires, le routier-poète a de nouveau évoqué les visites qu’il faisait, dans les années quatre-vingt-dix, au château de Salles. La vive fraîcheur du chemin, l’appétit retrouvé au contact du gentilhomme, la roborative substantialité des agapes, la ronde des jeunes filles, rien – cependant – n’empêche l’assombrissement final du morceau :
Je me rendais le plus souvent à pied chez Cazanove, tenant sur l’épaule une canne qui supportait au bout un paquet de livres, tel un balluchon de routier, et parfois des bruyères ou des soucis d’eau. Qu’elles étaient allègres, ces matinées d’argent où j’arrivais pour déjeuner − pas plus tard qu’onze heures − car le chevalier avait le plus bel appétit que j’aie connu. C’est à lui surtout que j’attribue ce contentement de manger que je recouvrai, que j’avais perdu jusqu’à ressentir du dégoût pour toute nourriture dans les moments que mon humeur s’assombrissait, où je ne vainquais pas assez mes tristesses. Dans cette restauration de moi-même, physique et morale, que j’avais entreprise d’une façon très consciente, avec cette volonté d’utiliser à cette fin tous les personnages et tous les éléments de la campagne et de la petite ville, Cazanove me fut d’un grand appoint : il m’apprit à déjeuner gaiement, à assimiler le gibier, les sauces violentes, les crus généreux, à sourire des buveurs d’eau et de ces Parisiens qu’une pointe de piment met en révolution. Il était entouré d’une famille charmante. La joie régnait là, mais les dernières années de mon vieil ami furent assombries.
(L’Amour, les Muses et la Chasse, pp. 138-139)
De ce « vieil ami », capable « de parler sur le même ton, des mêmes choses, et avec le même sentiment, au dernier des roturiers et au plus titré des aristocrates », le mémorialiste a gravé un portrait à méditer :
À ces hommes d’autrefois qui ont la main toujours ouverte, qui ne calculent pas, qui laissent tomber l’aumône autour d’eux comme Booz ses épis d’orge, nés pour combattre, pour chasser, pour rire et pour prier, notre époque d’aigrefins enrichis est mortelle. Cazanove a gagné le ciel non point, tel l’un des croisés dont il descendait, sur un de ces chevaux superbes qu’il avait tant aimés et dont il dut à la fin se passer, mais ce qui est plus beau, troussé dans son antique manteau de voyage, s’arrêtant une dernière fois au sommet de la côte pour interroger avec angoisse l’ouest sombre, la mer qui s’étendait entre lui et l’une de ses filles bien-aimées.
(L’Amour, les Muses et la Chasse, pp. 139-140)
En 1870, Amaury de Cazanove avait été combattant volontaire dans la Garde nationale mobile. En 1915, âgé de 70 ans, il tenta de s’engager. En 1916 (8 octobre), il meurt au château de Loran, près de Mirande (Gers).
Bibliographie : 1/ Sur Amaury de Cazanove, on pourra lire le recueil publié par son petit-fils et filleul Amaury de Cazanove : Un Gentilhomme Poète, Amaury de Cazanove, 1845-1916, Pau, Marrimpouey Jeune éd., 1974. Ce recueil contient, en particulier, une lettre de Francis Jammes à son aîné (elle est datée du 29 novembre 1920), un portrait d’Amaury de Cazanove et d’émouvants témoignages d’amitié.
2/ On lira aussi, de Roger Gonot : Un Chevalier servant de la Muse, Amaury de Cazanove, 1845-1916, Pau, © Gonot, 1986. Les trois photos d’Amaury de Cazanove ici présentées sont tirées de ce livre édité à compte d’auteur.
Jacques Le Gall