MsR13 (Orthez)

Le Poème d’Ironie et d’Amour (1895)

Manuscrit autographe (57 ff. numérotés de 1 à 57 en haut à droite, plus une page de titre), signé, non daté. Encre noire et rouge. Complet. Reliure mauve avec titre doré au dos. Il s’agit d’une mise au propre d’un texte que Madame Francis Jammes retrouva après la mort du poète. Elle-même recopia ce texte et communiqua cette copie (conservée à Pau sous la cote Ms 133-01) à Robert Mallet. S’ensuivit l’édition posthume de ce texte que le critique accompagna d’une préface.

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Les onze chants du Poème d’Ironie et d’Amour (La division en chants est fantaisiste) ont été composés en 1895, rue Saint-Pierre, à Orthez, au retour du premier voyage que Jammes fit à Paris. Le titre montre à lui seul qu’à cette époque du moins, Jammes ne dissociait pas l’Amour de l’Ironie. Le prénom de l’aimée (Charlotte souvent diminué en « Lolotte » ou en « Lotte ») fait du narrateur sans « position » un Werther orthézien (autant dire caricatural et provincial, solitaire et sincère). D’ailleurs plus encore qu’à Goethe (voir P : Ms 130), la critique de Jammes s’en prend à deux essentialismes concurrents, mais contemporains et français : le psychologisme de Paul Bourget et le physiologisme d’Émile Zola :

Je déplore de ne posséder point, comme le possède Zola,
le Sens de l’Existence… Je te nommerais Ninon et tu te baignerais dans une serre…
Je t’offrirai un savon… Ce serait la Joie de vivre… et nous irions à Lourdes…

Dans Le Poème d’Ironie et d’Amour, on trouve déjà cette alternance d’humour satirique et de pur lyrisme qui est l’une des marques de Francis Jammes. On passe, sans transition, du « teint de neige rose de Charlotte parsemé de taches très fines de feuilles mortes » aux conversations de Café du Commerce, des bleuités d’un ciel au « petit verre de kummel », des épingles d’un cœur tourmenté aux « épingles à friser » d’une jeune et jolie tête de linotte :

Je ne suis ni Loti, ni Zola, ni Bourget – mais je crois, en ce moment, que je t’aime. Tu es gentille lorsque tu bois ton petit verre de kummel… Tu appartiens à cette nouvelle race de femmes filles qui est nerveuse, mange et boit bien. Tu étais, ce matin, délicieuse. Tu étais toute rose, parce que tu venais de te tuber. Tu avais encore, sur le front, des épingles à friser… Ô ma chère petite que je t’aime !...
Ce soir tu feras la cour à Gontran pour me rendre jaloux… Je lui trouve une figure stupide et, surtout les oreilles idiotes.

Tu m’aimes parce que tu as lu de moi des vers que tu n’as pas compris.

Soit par scrupule d’auteur soit par pudeur, Jammes renonça à publier son Poème d’Ironie et d’Amour. Cette deuxième hypothèse paraît pouvoir être privilégiée. Le livre, comme si souvent chez Jammes, est en effet très autobiographique. Robert Mallet, dans sa thèse, avance que le jeune homme, bien des années après avoir subi le charme de la couseuse du quartier des Capucins, éprouva le besoin de retourner sur les lieux de cette idylle platonique alors qu’il aimait, sans grand espoir de retour, une autre jeune fille. Ce pèlerinage bordelais se solda par un fiasco : personne n’apparut derrière la fenêtre aux carreaux verts de la maison « solennelle et mystérieuse » et le jeune poète apprit que sa première Muse… venait de se marier. D’où la chute (et c’en est bien une) du poème :

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Le Poème d’Ironie et d’Amour ne parut, aux Éditions de la Librairie Universelle, qu’en 1950, préfacé par Robert Mallet, que séduisit d’emblée non seulement la « fraîcheur » et la « spontanéité » de la confidence, mais « le ton d’humour sur fond de passion ».