Manuscrits Orthez

1905 - 1924

Manuscrit autographe (7 ff. ; dim : 31 x 19,5), signé, non daté. Encre. Fonds Paul Lafond (ancien Conservateur du Musée de Pau).

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Cette prose a été gratifiée de plusieurs titres au fil du temps et des textes qui l’ont recueillie. Dans L’Ermitage (mars 1905) et, l’année suivante, dans Pensée des jardins, Paris, Mercure de France (pp. 113-123), le titre retenu est : « Méditation sur une goutte de rosée ». Le 5 mars 1907, au Palais d’Hiver de Pau, Jammes termina sa causerie « Les jeunes Filles et les Fleurs » (O : Ms R6) par cette méditation que l’on trouve intitulée « L’Ancienne Jeune Fille » dans Solitude peuplée, en 1945 (pp. 75-81). Quant à l’épigraphe (« … ce simple mot : fidèle. François Coppée. Les Jacobites »), elle n’a jamais été reprise, bien que Francis Jammes n’ait jamais renié son affection pour l’auteur du Reliquaire ou des Humbles.

L’histoire pourrait être celle d’une Clara d’Ellébeuse (P : Ms 526) qui aurait survécu à sa faute imaginaire. Par « une matinée limpide où elle demanda grâce à Dieu », vers 1840, à Paris, loin du vieux château familial, la toute jeune Mlle Sophie F. de B. a « patiemment dessiné, peint, verni » des fleurs, dont une rose jaune « d’où, lentement, coule une larme de rosée ». Rien ne resterait de celle qui, devenue orpheline, se dévoua à une sœur malade et fut « une adorable vieille fille »... Tout serait oublié de la « jeune fille du siècle passé », morte maintenant, n’était l’album où, tandis qu’elle peignait, elle a « laissé déborder son cœur… ». Cet album, le narrateur l’a retrouvé et pieusement feuilleté, dans le château qui vit grandir « cette âme tendre et contrainte ».

Ces quelques pages constituent un concentré de « Jammisme ». Décor, personnages, temps qu’il fait et temps qui passe, vie antérieure et vie intérieure, parfums (de rose et « de renfermé »), confidences et silences, besoin d’une « pureté passionnée », désir d’éternité… Rien n’y manque : « un petit castel qui eût plu à Jean-Jacques Rousseau » et un jardin botanique (le Jardin des Plantes à Paris), une « jeune fille du siècle passé » et un patriarche surveillant la moisson (fut-il celui à l’amour de qui elle ne put répondre ?), dévouement et sacrifice, vie rompue et cœur farouche… Comment s’étonner que Marcel Proust, le Marcel Proust des Jeunes filles en fleurs, ait à ce point admiré Francis Jammes ?

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Comme chaque détail devient un monde si, dans ce détail, l’on poursuit non pas un jeu poétique, mais l’empreinte de Dieu sur les moindres événements quotidiens. Ah ! pense-t-on que cela ne soit pas d’une grande importance que, plutôt à telle heure qu’à telle autre, tel jour que tel jour, une enfant ait recueilli des fraises dans un bois ?

N’est-ce rien que, dans une matinée que j’ignore, une ancienne jeune fille ait enfermé, à son insu, dans une goutte de rosée qu’elle fit briller sur une rose, le motif de ma rêverie qui s’achève ?