Manuscrit autographe (7 ff. ; dim : 35 x 23), non signé, daté (1929). Encre et crayon de couleur bleu. Complet. Manuscrit fortement raturé (une page entière est même biffée) au dos d’un registre alphabétique entoilé dont les pages A à Q ont été arrachées. Quatre pages sont numérotées au crayon bleu 1 à 4. Cette prose semble inédite et paraît avoir été écrite en vue d’une conférence (c’est ce que donne à penser le « Confé » que l’on peut lire devant le titre). Don de l’Abbaye bénédictine de Belloc.
La thèse est simple, posée d’emblée : « Le génie est ou n’est pas », indiscutable, pareil à une étincelle d’une nature qui ne varie pas. Parmi les noms cités, on retrouvera, sans surprise, ceux que Francis Jammes place tout en haut dans son panthéon : Homère, François de Sales, La Fontaine (« avec La Fontaine s’affirme à jamais le paysage de France »), le Rousseau du Vicaire savoyard, Bernardin de Saint-Pierre (le « sens direct de la nature »), Chateaubriand, Baudelaire (qui fut au jeune Jammes ce que Rimbaud fut au jeune Claudel : un intercesseur)…
Le génie est ou n’est pas. Mais quand il est, rien de plus certain que lui : on le touche. On ne peut douter du génie. Personne ne croit à son génie s’il n’a du génie. De même s’interroger sur soi-même ou sur autrui, quant au génie, c’est douter du génie, donc il n’est pas. Le génie peut se laisser voir, il ne souffre point qu’on le discute. Chacun sait s’il a du génie ou non. Mais il y a des menteurs. La pierre de touche du génie c’est soi, non pas les autres. Et c’est soi qui sait quand tu as du génie.
Le lieu commun dit vrai, mais il ne s’explique pas davantage, « le génie est une étincelle ». […]
Que ce soit avant ou après 1929, Francis Jammes a souvent parlé du génie. Du génie en général, du génie des saints et de quelques rares élus, accessoirement du génie (souvent incompris) qu’il s’attribuait. De là, en 1923, le second Quatrain du Troisième Livre :
LE GÉNIE
Des noms sont exaltés un à un qui s’effacent,
Tels que des flots ailés repris par l’océan ;
Mais un vrai nom résiste à la mode qui passe :
Il demeure immobile au milieu du néant.
Le mardi 23 janvier 1934, paraît dans Le Figaro une Chronique également intitulée « Le génie ». S’y trouve répété que le génie brûle (c’est même un feu plus qu’une étincelle). Qu’il échappe au marché et aux modes, n’a ni âge ni saison, qu’il est une marque divine :
Le génie n’est point une simple ardeur, mais un feu qui brûle au cœur du vrai poète, un feu d’amour, de souffrance, d’espoir, de beauté ; […] Le génie ne s’invente point, ne se vend point, ne s’impose point par la réclame éphémère ou le caprice du snob. […] Il S’il n’a pas de saison, il n’a point, non plus, d’âge. […] c’est de Dieu que l’on tient cette « vive flamme », quand même elle ne serait pas toujours située sur les cimes d’un Jean de la Croix. […]
Dans sa dernière conférence, le 26 octobre 1937, à Paris, Francis Jammes donnera de nouveau sa définition du génie. Elle n’est pas loin de reprendre ce qu’il écrivait près de quarante ans plus tôt pour présenter De l’Angélus de l’Aube à l’Angélus du Soir. Elle est toute simple :
« Le génie est de voir et puis de faire voir […].
Le génie est d’entendre et puis de faire entendre »