Copie par Bernadette Jammes (9 ff. ; dim : 27,5 x 22) avec des notations et surtout d’importantes corrections de l’auteur, à l’encre ou au crayon bleu. Le neuvième et dernier feuillet de ce manuscrit est tout entier de la main de l’auteur et signé.
Jammes revient une fois encore sur les heures étouffantes qu’il dut endurer au lycée de Bordeaux vers 1890 : lui et ses camarades étaient « garrottés » par des pédagogues aux « figures barbares » dont « l’exécration » portait en particulier sur la poésie romantique. Pour se consoler, l’adolescent lisait Baudelaire et Musset, dont il cite quelques vers inoubliés. Rien, au lycée de Bordeaux, ne paraissait devoir éclairer le « ténébreux purgatoire » du lycéen. Or, un jour, survint un de ces jeunes professeurs qui vous marquent à jamais : un « libérateur de mes seize ans », écrit Jammes.
Il s’appelait André Le Breton et son rayonnement dépassait apparemment les classes dont il avait la charge. Après avoir brossé son portrait (élégance et blondeur d’un dandy), noté qu’il était admis dans la société cultivée (notamment chez les Goncourt), rappelé l’un de ses romans (La Faute des autres) et quelques pages détachées parues dans un journal local (La Gironde), Jammes évoque "Le Tourment du passé "qu’il lut à Bordeaux par un été torride. Les pages « aux nuances infinies » de ce livre, le jeune poète solitaire d’Orthez les avait d’autant moins oubliées qu’elles analysaient une « maladie morale » dont il souffrait lui-même.
Cette affection morale est en effet l’un des grands thèmes de l’œuvre de Jammes : celui du paradis perdu. Or, ce que Le Breton appelle « le tourment du passé », et qui « n’est que le deuil d’un paradis perdu que l’homme s’efforce de retrouver », Jammes, après sa « conversion », va l’appeler « le désir du Ciel ». L’évocation du livre s’achève sur une longue citation du Tourment du passé et une méditation sur la maison maternelle, ce locus amœnus qui constitue, précisément, l’une des images maîtresses du paradis perdu et du désir de Ciel.
Une lettre de Jammes à André Le Breton, datée du 9 février 1928, est conservée à Pau, sous la cote Ms 354.
Jacques Le Gall