Henri Duparc (Fouques Duparc Marie Eugène Henri) est né à Paris le 21 janvier 1848 (vingt ans avant Jammes par conséquent). Durant sa scolarité au collège jésuite de Vaugirard, César Franck l’initie au piano.
Ses études de Droit ne le détournent ni de sa vénération filiale pour Frank, ni de sa vocation musicale. Il compose une Sonate pour violoncelle et piano en 1867, une première mélodie (Feuilles volantes) en 1869, un poème symphonique (Aux Étoiles) en 1874 (avant révision en 1911) puis un autre (Lénore) en 1875. Les dix-sept mélodies qui suivront visent à réconcilier mélodie et paroles. Le cycle s’achève en 1885. Le dernier chant, "La Vie antérieure", sur un poème célèbre de Baudelaire, aura occupé l'esprit du compositeur pendant dix ans (1874-1884). Dans cette pièce dont le thème ne pouvait pas ne pas émouvoir Jammes, le mot répond idéalement à la note, l'accord, « sans rien qui pèse », se pose sur la rime, la nuance à l’intensité se fiance. Un équilibre apollinien semble enfin trouvé. Et un sentiment d’intimité.
En 1885, Henri Duparc trouve refuge à Monein (Basses-Pyrénées), à deux lieues à peine d’Abos. L’amitié avec Charles de Bordeu d’abord, avec Francis Jammes ensuite, avec Eugène Carrière et Charles Lacoste aussi, commence à ce moment-là. Elle ne déclinera jamais. Bordeu et Jammes allaient souvent, à pied, « Villa Florence », « située sur une hauteur d’où l’on embrassait le plus beau des paysages entre cent autres qui, dans cette région privilégiée, enivrent la vue, l’esprit et le cœur. » Dans le chapitre « Amis d’autrefois et d’aujourd’hui » de La Terre de Béarn, Bordeu parle surtout de la limpidité physique et intellectuelle du musicien. De son côté, Jammes a certes évoqué « le génie le plus limpide de la musique française durant ces dernières années ». Mais le portrait de Duparc que l’on peut lire dans L’Amour, les Muses et la Chasse apparaît sensiblement plus nuancé :
[Bordeu], villageois magnifique et sans complications, saisissait moins bien que je ne le faisais les symptômes de ce mal mystérieux dont l’âme de notre illustre ami était atteinte. De ce mal, il n’apparaissait rien à l’extérieur chez ce fort Lorrain aux yeux bleus, au teint rosé, à la forte carrure, et rien ne le révélait non plus dans cette puissante compréhension, dans cet équilibre des facultés critiques, dans ce don de s’exprimer, dans la grâce de l’éclat de rire demeuré juvénil. Il y a ceci : que les sens spirituels, en prenant chez Duparc une importance qu’ils n’acquièrent que chez les mystiques, ont peu à peu affaibli les sens matériels sans que rien chez ceux-ci indique une lésion.
(pp. 173-174)
Francis Jammes, certes aidé par les lettres où Duparc lui ouvrait son cœur douloureux, avait parfaitement compris le drame intérieur de son ami dont on sait qu’une maladie nerveuse lui a interdit toute vraie création artistique alors qu’il n’avait que trente-huit ans.
Par ailleurs, tout portrait de ce type cache et révèle, à parts égales, un portrait imbriqué en volume du portraitiste. S’il n’avait pas les yeux bleus (sauf, pour six mois, au retour de son voyage au Sahara), s’il ne venait pas de Lotharingie, Jammes, en revanche, savait bien ce que peuvent peser les maux les plus mystérieux d’une âme. Même les questions et les réponses du mysticisme ne lui étaient pas étrangères, à preuve son intérêt continu pour Thérèse d’Avila, Jean de la Croix, et – ce fut son homme, ce fut son saint – François d’Assise. Or, chez Jammes, quelque chose de très… terrestre, si prégnant dans sa poésie, avait fait contrepoids au mysticisme. Tant et si bien qu’une fois discrètement rappelées ses souffrances les plus intimes et s’être rassuré sur sa capacité à résister au déséquilibre voire aux « lésions » (c’est son mot), le mémorialiste de L’Amour, les Muses et la Chasse peut benoîtement reprendre la main et… passer à table :
Quelque souffrance qu’il ressentît quand je l’approchais à Monein, il s’efforçait de n’en pas ennuyer ses amis et, si on lançait quelque trait dont on pût s’égayer, surprenante était sa jovialité. Il était catholique, et saint homme par dessus le marché. Mais il n’était point de ces bilieux collets-montés, de ces dévots constipés qui représentent notre religion comme une école d’ennui, de marasme et de pharisaïsme. J’ai mangé chez lui des jambons moulés, aux fines herbes, qu’il découpait savamment et qui étaient de pures merveilles, arrosés de vins les plus délicats.
(175)
Henri Duparc, lui, était beaucoup moins bien équipé pour respirer et bien plus humble que Jammes à qui il écrit ceci, le 27 juin 1904 :
Et puis, cher Ami, ne me parlez pas de génie, je sais mieux que personne que je n’en ai jamais eu, ni rien qui y ressemble ; j’ai fait quelques mélodies dans lesquelles j’ai mis mon âme avec sincérité ; c’est leur seul mérite. Maintenant la petite source est tarie, voilà tout ; ça ne manque qu’à moi, mais ça me manque beaucoup.
Le musicien eut à Lourdes, en 1902, une véritable illumination. Dès lors, il ne trouva plus la paix que dans le Renoncement et l’acceptation chrétienne de la Souffrance. D’autant que l’illumination dans la cité mariale se répéta. Encore fallut-il chercher un endroit où attendre sereinement la mort. Duparc quitta Monein en 1897. Se souvenant sans doute d’une photographie qui lui avait été adressée à l’occasion du nouvel an 1898, Jammes (semble-t-il) conclut un peu vite (cruellement ?) son portrait :
Nos agréables réunions à Monein prirent fin. Duparc pensa qu’un autre climat lui serait plus favorable et, durant quelques années, il se fixa sur le bord du lac de Genève. Là, il jetait du pain aux mouettes, plaintives comme sa muse. Ensuite, il erra. Il vit aujourd’hui dans la plus banale des petites villes où tous l’ignorent.
De 1906 à 1913, Henri Duparc s’était en effet installé en Suisse, « Villa Amélie », à Vevey, à proximité de Genève, ville que Jammes jugeait "fade au possible". (Les Caprices du Poète, p. 51) depuis qu'il y était passé en 1899. Au préalable, de 1897 à 1906, Duparc avait vécu à Paris. En 1906, en compagnie de Paul Claudel et de Francis Jammes, il fait de nouveau le pèlerinage de Lourdes. De 1913 à 1919, il vit à Tarbes. En 1919 il s'installera à Mont-de-Marsan. Sa vue se dégradera. Atteint de paralysie, il passera la fin de sa vie dans un profond mysticisme religieux. Le compositeur de "La Vie antérieure" et de "L’Invitation au voyage" (deux des grands thèmes de la poésie de Jammes) a fini ses jours à Mont-de-Marsan (« la plus banale des petites villes ») où il est mort, âgé de 85 ans, le 12 février 1933.
Les lettres d’Henri Duparc à Francis Jammes (elles s’échelonnent du 8 avril 1898 au 30 octobre 1923) ont été confiées par Mme Jammes à Guy Ferchault qui les a préfacées et annotées dans : Une Amitié mystique. Révélée par ses lettres à Francis Jammes, à Charles de Bordeu et à sa filleule (Suivi de « La Prière de tous les jours après la communion » par Henri Duparc), Paris Mercure de France, 1944. Intéressante (Duparc ne manque jamais de parler des livres que Jammes lui envoie au fur et à mesure de leur parution), cette correspondance n’est cependant qu’à une voix : les lettres du poète ont brûlé dans l’incendie qui ravagea le château de Mondégourat où elles étaient conservées par la fille du musicien.
C’est à Bordeu que je dois encore cette grande joie
d’avoir fait la connaissance d’Henri Duparc dont la précieuse amitié
n’a jamais décliné pour moi.
(L’Amour, les Muses et la Chasse, pp. 172-173)
Bibliographie : Franck Besingrand, Henri Duparc, collection horizons, Bleu nuit éditeur, 2019.