Ms165 (Orthez)

Prière pour être simple et Prière pour louer Dieu (1898)

Deux manuscrits sont ici regroupés : ils concernent deux des Quatorze Prières d’abord publiées par l’imprimerie Faget, à Orthez, en juillet 1898, sous forme d’une plaquette hors commerce.

Ms 165a : Manuscrit autographe (1 f. ; dim : 24 x 16,5), non signé, non daté [1898]. Encre et crayon de couleur rouge pour le trait final. Aucune rature : il s’agit probablement d’une copie de la main de Francis Jammes. Un autre manuscrit autographe de la « Prière pour être simple » est conservé à Pau sous la cote Ms 452/14.

Avant d’être reprise dans Le Deuil des primevères (Paris, Mercure de France, 1901, pp. 189-190), cette Prière n’a pas seulement été publiée chez Faget (c’était la cinquième des Quatorze Prières), mais aussi dans la Revue Blanche, à Paris, le 15 août 1898. C’est sous le titre « Prière pour se recueillir » qu’elle figure dans OPC, pp. 326-327.

Ms165a (Orthez) / Consulter document sur Pireneas

Mon Dieu, je viens à vous dans le recueillement.
Pacification. Pacification.
Je veux, près des ruisseaux, au fond des bois dormants,
Vivre dans la douceur des contemplations.

Mon Dieu, ayant chassé de mon cœur les scrupules
littéraires et autres, faites que je m’oublie
et que je sois pareil à une humble fourmi
qui creuse sagement un trou dans le talus.

Il faut, pour être heureux, bien s’oublier soi-même :
car nous ne sommes rien et le monde est taré.
Ce n’est point nous, mais Dieu, qui murmurons : je t’aime :
quand notre amour s’endort douce et entrelacée.

Je ne porterai point de corde autour des reins :
car c’est insulter Dieu que de meurtrir la chair.
Amant des prostituées et des fiancées claires,
mon cœur chante à la femme un angélus sans fin.

Je n’admirerai point celles aux fauves bures,
car c’est nous voiler Dieu que voiler la beauté :
Mais je veux que la vierge aux seins dressés et durs
fleurisse comme un lys à l’azur fiancé.

Mon Dieu, je vais me recueillir. Je veux entendre
la neige des agneaux marcher sur les gazons,
et respirer dans les ornières de Septembre
le parfum de l’amour des dernières saisons.

Je reviendrai ici sans orgueil, l’âme égale,
l’esprit simplifié de méditations,
et ne désirant plus que de l’eau et du pain,
et parfois le cri sec d’une pauvre cigale.

 

Ms 165b : Manuscrit autographe (2 ff. ; dim : 26 x 17), signé, daté (1898). Encre. Aucune rature : là encore, il s’agit probablement d’une copie de la main de Francis Jammes.

Ms165b (Orthez) / Consulter document sur Pireneas

La torpeur de midi. Une cigale éclate
dans le pin. Le figuier seul semble épais et frais
dans le brasillement de l’azur écarlate.
Je suis seul avec vous, mon Dieu, car tout se tait
sous les jardins profonds, tristes et villageois.
Les noirs poiriers luisants, à forme d’encensoir,
dorment au long des buis qui courent en guirlandes
auprès des graviers blancs comme de Saintes-Tables.
Quelques humbles labiées donnent une odeur sainte
à celui qui médite assis près des ricins.
Mon Dieu, j’aurais, jadis, ici, rêvé d’amour,
mais l’amour ne bat plus dans mon sang inutile,
et c’est en vain qu’un banc de bois noir démoli
demeure là parmi les feuillages des lys.
Je n’y mènerai pas d’amie tendre et heureuse
pour reposer mon front sur son épaule creuse.
Il ne me reste plus, mon Dieu, que la douleur
et la persuasion que je ne suis rien
que l’écho inconscient de mon âme légère
comme une effeuillaison de grappe de bruyère.
J’ai lu et j’ai souri, pleuré et j’ai aussi
souri, sachant le monde impossible au bonheur,
et j’ai pleuré parfois quand j’ai voulu sourire.

Mon Dieu, calmez mon cœur, calmez mon pauvre cœur,
et faites qu’en ce jour d’été où la torpeur
s’étend comme de l’eau sur les choses égales,
j’aie le courage encore, comme cette cigale
dont éclate le cri dans le sommeil du pin,
de vous louer, mon Dieu, modestement et bien.

Comme la précédente, cette « Prière pour louer Dieu », avant d’être reprise dans Le Deuil des primevères (Paris, Mercure de France, 1901, pp. 189-190), a été publiée chez Faget (c’était la neuvième des Quatorze Prières) et dans la Revue Blanche, à Paris, le 15 août 1898. Elle figure dans OPC, pp. 325-326.

La « Prière pour louer Dieu » fait partie des trois Prières manquantes dans le manuscrit conservé à Pau sous la cote Ms 452/14.

À Orthez est aussi conservé, sous la cote Ms 6, le manuscrit d’une « Prière pour demander l’apaisement » qui était restée inédite jusqu’à sa publication dans l’Œuvre poétique complète de 1995. Elle figure dans notre édition de référence (OPC, 2006) à la p. 1376.

 

Jacques Le Gall