Ms 452/23 (Pau)

Le Roman du Lièvre (1902)

Épreuves du roman avec corrections manuscrites au crayon et signature de Jammes. Les 32 pages (dim : 28 x 19) sont numérotées au crayon bleu. Ces épreuves corrigées étaient destinées à la revue Le Mercure de France.

Ms452/23 (Pau)

Comme celles du Ms 438 également conservées à Pau, ces épreuves ont été données par Madame Madeleine-Louis Barbey à Jean Labbé.

Aquarelle de Georges Delaw

Ici, parce qu’un grand créateur n’en a jamais tout à fait fini avec les personnages sous les traits desquels il s’est à la fois montré et caché, il faut rappeler un fragment de poème (P : Ms 520) écrit trente-deux ans après Le Roman du Lièvre. Il s’agit de trois dizains (OPC, p. 1215) des Feux composés par Francis Jammes en 1937. « Les Feux liquides » ressuscitent Lièvre et le sauvent pour l’éternité. Car tel est le qui-perd-gagne de la littérature et tel le pouvoir des vieux poètes, ces toujours jeunes chasseurs de mots :

Croquis de Jean Aufort

V

J’entends des cris, des appels. Que le lièvre
Serré de près de son gîte se lève.
O té té té té ! Voici les sèves
Qui prennent feu sur l’odorante lèvre
Du chèvrefeuille, et le fil de la vierge
Entre en fusion sur son rouet qui rêve
Et les maïs aux aigrettes altières
De leurs cristaux arrondis nous éclairent.
Le piqueur soûl tire un coup de tonnerre.
Le lièvre fuit, lui montrant son derrière

VI

La meute hurle alors, se précipite
Sous les jurons des fusils que dépite
L’élan du Patte-Usée. Il va si vite
Que de l’oreille il touche son échine.
Je le vois moins que je ne le devine.
Au carrefour il tournoie, il hésite,
Puis brusquement dérouté dans sa fuite,
Tout ahuri d’une telle poursuite,
Il vient à moi, tandis qu’une bruine,
Des millets pleut, toute de flamme vive.

VII

Il est sauvé ! car, bien sûr, je le manque.
Va-t-en, ô poil de chaume, à ton amante

Parmi le thym et le trèfle et la menthe.
Ma maladresse insigne t’est clémente.
C’est maintenant toi qui fais ma descente
Vers cette plaine où des moqueurs m’attendent.
Mais que les feux de l’Aurore montante
Se sont multipliés au bord des sentes !
Pas un brin d’herbe où quelque eau miroitante
N’ait épousé tant de fraîcheur ardente.

Aquarelle de Georges Delaw pour Le Roman du Lièvre / Paris, Les Éditions G. Crès & Cie, 1926

 

Jacques Le Gall