Manuscrit autographe (3 ff. ; 30,5 x 20), folioté, non daté et non signé. Encre. Quelques ratures. Acquis de Jean Loize au printemps 1949.
De saint Joseph, l’humble, le bafoué, Jammes a aimé « jusqu’aux images les plus banales, jusqu’aux statues bariolées qui se dressent sur l’autel villageois ». Il a voulu lui consacrer « autre chose que les fadeurs d’un art religieux en décadence ». C’est ainsi qu’est né Le Livre de Saint Joseph, composé en grande partie au château de Vitailles (Tarn et Garonne) au cours des deux séjours que l’écrivain fit en 1920 dans cette retraite bénédictine.
Publié en 1921 chez Plon-Nourrit, Le Livre de Saint Joseph, tel un retable, est constitué d’une série de tableaux que le Charpentier fait apparaître les uns après les autres. Sous les yeux ou dans le cœur de l’écrivain qu’il accompagne dans cet étrange voyage, saint Joseph a le pouvoir de susciter des rencontres qui se jouent de l’espace et du temps.
Le passé renaît sous la trame du présent, dévoilant les strates d’une vie antérieure. Au visible, il n’est même pas rare que se substitue la vision.
Les lignes de cette pièce du Ms 452 − elles feront partie du chapitre III du Livre de Saint Joseph (pp. 18-22) − nous convient à une rencontre de ce type. En l’occurrence à une rencontre avec une servante minuscule que « le souffle de l’ange » (p. 11) va métamorphoser en Servante majuscule. L’humble personnage rencontré est d’abord une enfant de huit ans qui dort dans la pauvre chambre de son pauvre village avant de se réveiller pour aller garder les vaches. Puis la scène change brusquement, les années glissent « en avant ». L’enfant est maintenant une jeune fille obligée de quitter son village d’Arthez et ses parents pour « se placer »… à Tournay. C’est à ce moment-là – le Livre de Saint Joseph est aux deux sens du terme un livre de reconnaissance – que Jammes la reconnaît :
Au moment qu’elle se séparait de sa famille pour aller dans la mienne, le cri de mon cœur la reconnut :
− C’est Marie Dargelez !
− Oui, dit saint Joseph, c’est la petite bonne qui t’a vu naître, qui t’a chéri comme une sœur aînée, qui est revenue se marier ici, et qui est morte de la fièvre typhoïde.
Et il ajouta :
− Voici la Servante du Seigneur.
Le manuscrit se termine sur ces mots. Il avait commencé à : « Si c’était là que ”l’Amant de la Pauvreté” la venait trouver et la chérir ». Une page entière a donc été ajoutée au début du texte, une autre à la fin qui est une sorte d’invocation écrite en italique : un épilogue que Jammes appelle une « Effusion ». Le manuscrit de cet épilogue est également conservé à Pau : c’est l’une des vingt pièces du Ms 430. Orthez conserve un autre texte en prose où apparaît Marie, la servante de Tournay « qui portait le nom de la Mère de Dieu » : c’est le Ms 53. Et aussi deux manuscrits ayant trait au Livre de Saint-Joseph : le Ms 226a et le Ms 226b.
Les variantes sont nombreuses par rapport au texte publié en 1921.
À la servante Marie Dargelez, Jammes a aussi consacré le « Quatrain XXVII » du Deuxième Livre des Quatrains (OPC, p. 876) :
LA SERVANTE
J’aurais voulu revoir, souvenir du jeune âge,
La chaumière où mourut, au temps de la moisson,
Marie. Et je n’ai pu, dans le petit village,
Retrouver ni les lieux ni l’amour ni le nom.
Ce texte a été repris par Jammes lui-même dans Dieu, l’Amour et le Sentiment (1936).
Jacques Le Gall