Naissance(s)

Francis Jammes est né le 2 décembre 1868, à quatre heures du matin à Tournay.

Bien des romans, bien des autobiographies, commencent par la naissance de leur héros. C’est ce qu’il est convenu d’appeler un topos d’ouverture. Les topoï rassurent, mais s’usent quand on s’en sert. Pour réactiver le récit obligé de la naissance et pallier son usure, un écrivain peut choisir la fantaisie et la poésie...

La procession, Ms352, Médiathèque A. Labarrère, Pau
La procession, Ms352, Médiathèque A. Labarrère, Pau

 

Dès la première page de ses Mémoires, Francis Jammes joue avec le topos de la naissance. Énée, Gama, Colomb ? Il ne va certes pas jusqu’à nier l’audace de ces grands navigateurs. Il n’en revendique pas moins un voyage encore plus extraordinaire. Celui de la naissance en général, la sienne en particulier :

 

Pourquoi nous extasier sur un voyage polaire ou tropical,
accompli par des explorateurs qui ont traversé quelques degrés,
et qu’est-ce de boucler l’Alaska ou même les Indes Occidentales à l’aide
de kayaks ou de caravelles lorsque, sur un berceau, nous franchissons le néant ?

De l’Âge divin à l’Âge ingrat, pp. 1-2.

 

Puisque la mer est mère, tout berceau est un bateau. Le port où débarqua la nef qui permit à Francis Jammes de franchir le néant s’appelait Tournay (Hautes-Pyrénées).

Francis Jammes donnera une autre version de sa naissance dans « Premier Nocturne », poétique et musicale ouverture du beau livre intitulé Les Nuits qui me chantent (Ernest Flammarion, 1928) :

Les Nuits qui me chantent, Flammarion, 1928, MIAL, 180695R

 

L’Ange qui me portait s’étant engouffré dans la cheminée de la maison où était le Bureau de l’enregistrement écarta d’un coup d’aile la pauvre flamme du foyer et me déposa sur le lit de ma mère.
Les musiciens qui accueillent les fils de princes en jouant de divers instruments n’étaient pas là pour recevoir le poète. Mais la bouilloire ronronna comme le chat et celui-ci chanta comme la bouilloire.
N’était-ce pas un beau concert, avec des murmures de joie dans la chambre ? L’ombre allait et venait, remuée par la chandelle.
Ô nuit tenant en main l’aurore comme une rose pleine de givre !

(pp. 8-9)

La Bibliothèque Patrimoniale de Pau dispose de quatre épreuves en placards ou en pages de ce livre. Ces documents proviennent du Fonds Jean Labbé et présentent des corrections manuscrites de Bernadette Jammes pour les deux premiers, de Francis Jammes pour les deux derniers.

Ms531, épreuves en placards, corrections par Bernadette Jammes / Bibliothèque Patrimoniale de Pau
Ms532, 1ère épreuve en placards, corrections par Bernadette Jammes  / Bibliothèque Patrimoniale de Pau
Ms533, 2ème épreuve, en page, corrections de l'auteur / Bibliothèque Patrimoniale de Pau
Ms534/ Bibliothèque Patrimoniale de Pau

 

Il faut ajouter que tout héros naît plusieurs fois. Il renaît s’il franchit certains obstacles, surmonte les épreuves. Ainsi Francis Jammes chantera-t-il La Naissance du Poète et celle de la Conversion, la naissance de ses enfants et d’abord celle de sa fille Bernadette, la naissance du jour ou d’une bête, la naissance enfin de l’amour et de la mort :

 

17 juin : 4 heures du matin. − À mesure que je vieillis
je ressens que je me rapproche d’une naissance nouvelle.

Les Airs du mois, 17 juin 1936 (p. 148)

 

 Jacques Le Gall